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elles appelleront et rappelleront plusieurs fois en France Gauthier et son ami Prior ; elles conduiront le séduisant Saint-John, devenu vicomte de Bolingbroke, à Paris et à Fontainebleau ; au commencement de 1712, elles seront portées à Utrecht. Traversées presque constamment par les sourdes manœuvres ou par l’ardente opposition de la Hollande et de l’Autriche, qui enverront les plus autorisés de leurs hommes d’état, Buys et le prince Eugène, plaider publiquement, auprès de la reine Anne, la cause de la guerre ; troublées, à diverses reprises, par des incidens politiques ou militaires d’une exceptionnelle gravité ; conduites par la France et par l’Angleterre, sinon avec une bonne foi absolue, au moins avec la volonté sincère de mettre un aux horreurs de la lutte ; efficacement secondées par les jalousies commerciales de la Hollande et par les justes craintes qu’inspiraient aux deux puissances maritimes, depuis la mort de l’empereur Joseph, les aspirations ambitieuses de son successeur, l’archiduc Charles, qui voulait régner à la fois sur l’empire et sur l’Espagne, elles aboutiront, en 1713, grâce à l’énergique intervention du gouvernement de la reine et à l’influence décisive du succès de Villars, aux traités qui pacifieront les Pays-Bas ainsi que la Péninsule ibérique.

D’abord, tout paraît marcher à souhait. Un commun désir, celui d’aplanir les obstacles par la confiance réciproque, la conciliation, la bonne grâce, inspirait les deux gouvernemens et les hommes habiles qui les représentaient à Londres. Les premières entrevues furent tenues absolument secrètes ; il fallait, avant qu’un accord sérieux intervînt, y préparer les esprits, endormir, par des précautions et des dissimulations de toute sorte, l’opposition des ennemis de la paix aussi bien que la résistance des alliés. Harley et Saint-John s’y employèrent avec un soin infini. Ce fut la nuit, par des escaliers dérobés, par des portes noyées dans de sombres tentures, sous la conduite de quelques serviteurs d’une discrétion, d’un mutisme éprouvés, que l’envoyé du roi pénétra chez les ministres et qu’il fut introduit chez la reine. Mais bientôt le succès parut certain, Anne se montra pleinement satisfaite. Harley déclara formellement à Ménager qu’elle désirait sincèrement, ardemment la paix, et, comme il ne parlait pas aisément le français, il ajouta en latin : Ex duabus igitur gentibus faciamus unam gentem amicissimam. Déjà de récentes élections et la création de quelques nouvelles pairies assuraient au cabinet tory la majorité dans le parlement ; déjà la signature d’un acte diplomatique[1] attestait l’heureux accord des deux nations ; déjà le mauvais vouloir des Hollandais était à demi brisé, et un congrès solennel s’était réuni à Utrecht,

  1. Les préliminaires de Londres, signés le 8 octobre 1711.