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grandeur qu’elle n’a jamais connues. L’ambition persuaderait peut-être de rester fidèle au traité du 25 mars, la prudence le défend et conseille de ne point répudier l’héritage de Charles II.

Ainsi raisonnent Torcy et le dauphin, sans pour pouvoir fixer les irrésolutions du roi. La copie du testament est parvenue, dans la matinée du 9 novembre, à Fontainebleau, où réside alors Louis XIV. Le 12, il écrit encore à son représentant en Hollande qu’il entend rester fidèle au traité de partage. Le 15 seulement, ses doutes se dissipent, et il décide que Philippe d’Anjou sera roi d’Espagne.

Qui n’a lu avec émotion le récit de la scène majestueuse dont la cour fut témoin, ce jour-là même, à Versailles ? Le marquis de Castel dos Rios, ambassadeur d’Espagne, est introduit : « Monsieur, lui dit Louis XIV, en lui montrant son petit-fils qui se tenait debout à ses côtés, vous le pouvez saluer comme votre roi. » Le marquis se jette aux pieds de Philippe et lui baise les mains. « Messieurs, poursuit Louis XIV, en s’adressant à ses favoris, voilà le roi d’Espagne. Sa naissance l’appelait à cette couronne, ainsi que le testament du feu roi. Toute la nation le souhaitait et le demandait avec instance. Je l’ai accordé avec plaisir ; c’était l’ordre du ciel. Pour vous, monsieur, ajoute-t-il, en fixant le duc d’Anjou, soyez bon Espagnol, c’est maintenant votre premier devoir ; mais souvenez-vous que vous êtes né Français pour entretenir l’union des deux pays ; c’est le moyen de conserver la paix de l’Europe. — Dieu soit loué, s’écrie Castel dos Rios, les Pyrénées sont fondues ; nous ne faisons plus qu’un. »

Il s’agit maintenant de faire comprendre à l’Europe, et particulièrement aux puissances alliées, les motifs qui ont déterminé la résolution du roi de France. Un mémoire est adressé, sans retard, à Londres et à La Haye. L’exécution du traité de partage eût accru démesurément le territoire français. Elle eût rompu l’équilibre fondé par la paix de Westphalie, consacré par les conventions de Nimègue et de Ryswick. L’acceptation du testament, tout au contraire, ne compromet en aucune façon cet équilibre, puisqu’une de ses clauses interdit la réunion, sur une même tête, des couronnes de France et d’Espagne ; puisque chacune des deux nations, gouvernée par deux monarques, indépendans l’un de l’autre, restera dans ses limites. Telle est la thèse que développe ce mémoire, dans des termes à la fois fermes, habiles et mesurés. Elle est accueillie, tout d’abord, par les puissances maritimes, avec une résignation déférente, tant la décision de Louis XIV semble conforme aux intérêts les plus évidens de la France et de l’Europe. On l’envisage même, pendant quelques jours, comme la plus rationnelle et la plus rassurante des solutions, comme un gage de paix. A la bourse d’Amsterdam, elle provoque une hausse importante sur toutes les