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irrémédiablement compromis. Ce n’est point avec des alliés douteux, ennemis acharnés de la veille, que l’on pourra soutenir heureusement la lutte contre l’Allemagne, l’Autriche et l’Espagne, pour assurer l’exécution du dernier traité de partage ; en admettant que l’issue de cette lutte soit heureuse, les dures leçons du passé permettent-elles de croire que la France puisse conserver, sans l’assentiment de l’empereur, Naples, Final, la Toscane, ces possessions italiennes si précaires et si glissantes ? La Lorraine n’est-elle pas, d’ailleurs, pour la monarchie, une annexe naturelle qui ne peut manquer de lui appartenir ? Défendre par les armes le traité de partage, c’est courir assurément de dangereux hasards pour obtenir des avantages très incertains.

Si Philippe d’Anjou, au contraire, succède à Charles II, l’Espagne, que des affinités de race, des sympathies de caractère, des concordances d’intérêt, des convenances de voisinage, désignent comme notre alliée naturelle, et qui, cependant, n’a cessé de nous faire la guerre depuis qu’elle est gouvernée par des princes autrichiens, devient, pour la France, une amie dévouée et fidèle. Elle est pourvue de colonies magnifiques, où notre industrie et notre marine, beaucoup plus développées, beaucoup plus actives que les siennes, trouveront pendant de longues années, à l’exclusion sans doute de la Hollande et de l’Angleterre, d’inépuisables ressources. Les Espagnols sont de vaillans soldats et de hardis marins ; ils ont accueilli le testament avec enthousiasme, parce qu’ils préfèrent infiniment la domination des Bourbons à celle des Hapsbourg, parce que leur fierté nationale, tenue sans cesse en éveil par l’imposant spectacle de leur immense monarchie, repousse violemment toute idée de partage. Lorsque, en suivant nos conseils, ils auront réorganisé leur armée et leur flotte, la France, avec leur concours, deviendra vraiment invincible. Elle ne permettra pas à l’Autriche, accablée par le coup funeste que lui a porté Charles II mourant, menacée en ce moment par les Turcs et par ses propres sujets, les Hongrois, de se relever jamais ; au besoin, elle braverait l’Europe entière et saurait, sans grands efforts, mettre à la raison les puissances maritimes, si, se refusant à comprendre que son roi a véritablement accompli un acte de patriotisme et de prudence, en laissant monter son petit-fils sur le trône d’Espagne, elles s’avisaient de lui demander compte, par les armes, de l’inexécution du traité de partage.

Ce traité augmente, il est vrai, l’étendue de ses états ; mais au prix de quels sacrifices, au prix de quels dangers, cet accroissement sera-t-il obtenu ? Le testament exige le maintien de nos frontières, mais il en assure le respect, en procurant à la France le plus fidèle des alliés, en la plaçant dans des conditions de sécurité et de