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David vieillissait, son harem devenait un insupportable nid d’intrigues. Bethsabée, capable de toutes les ruses, était arrivée au rang d’épouse préférée. Dès lors, ce fut chez elle un plan arrêté que Salomon, son fils, serait, après la mort de David, l’unique héritier de la monarchie d’Israël.

Ce monde de jeunes et vigoureux adolescens, que ne retenait aucune loi morale, était comme une atmosphère orageuse où se nouaient et se dénouaient de sombres tragédies. Amnon, le fils aîné de David, semblait destiné au trône, et excitait par là de fortes jalousies. C'était une nature entièrement dominée par l'instinct sexuel. Il devint éperdument amoureux de Thamar, sa sœur, née d'une autre mère, feignit d'être malade pour être soigné de sa main, et, comme elle lui apportait dans l'alcôve le remède qu'elle lui avait préparé, il la saisit, la viola, puis la prit en horreur et la chassa odieusement. Thamar se réfugia chez son frère Absalom et lui demanda vengeance.

David se montra faible et ne punit pas Amnon, parce qu'il l'aimait comme son aîné. Absalom tua Amnon, puis se réfugia chez son grand-père maternel Talmaï, fils d'Ammihour, roi de Gessur. Il y resta trois ans. Absalom était un des plus beaux jeunes hommes qu'on pût voir. De la plante des pieds à la tête, son corps n'avait pas un défaut. Sa chevelure surtout était un miracle. Tous les ans, il la coupait, car elle devenait trop pesante ; ainsi coupée, elle pesait 200 sicles royaux. Au moral, c'était un tempérament colère, un homme absurde et violent. Dans son exil volontaire de Gessur, il conçut le projet de refaire pour son compte ce que son père avait fait, de prendre l'inauguration royale à Hébron comme David, de chasser ensuite ce dernier de Jérusalem, et de gouverner avec d'autres conseillers, dans le sens voulu par les mécontens du régime établi.

Une telle pensée, en effet, n'aurait pu être conçue, même par une tête aussi légère que celle d'Absalom, si elle n'avait trouvé de l'appui dans les dispositions de certains membres de la famille royale. David, en vieillissant, s'affaiblissait. Comme Auguste, il devenait doux et humain, depuis que le crime ne lui était plus nécessaire. La longue royauté de David, d'ailleurs, provoquait de sourdes impatiences. La tribu de Juda, qui l'avait élevé au trône, était froissée des faveurs qu'il accordait aux Benjaminites, anciens partisans de Saül. Quelque étrange que cela paraisse, Juda, qui avait été la force du pouvoir naissant de David, fut l'âme de la révolte d'Absalom. La désaffection, à Hébron et dans la tribu, était générale. Les dépenses que l'on faisait pour Jérusalem rencontraient beaucoup d'opposition, et sans doute les satellites étrangers de David provoquaient l'antipathie qui d'ordinaire s'attache à ces sortes de milices.