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reur ; on ne sait pas ce qu’il faut attendre de ce prince de vingt-neuf ans, qui a eu bien des fantaisies de jeunesse, qui n’a été connu jusqu’ici que par ses intempérances de langage et par la violence de ses antipathies, qui s’est même fait un jour à Berlin le complice du mouvement antisémite. Guillaume II se laissera-t-il entraîner par des passions imprévoyantes, par les dangereuses flatteries de ceux qui ne cessent de lui montrer, comme une tentation, la formidable armée dont il dispose, et de lui répéter qu’il est destiné à faire revivre Frédéric II ? Le plus probable est qu’on n’en est pas là, que sous Guillaume Ier comme sous Frédéric III, comme sous Guillaume Ier, la politique de l’Allemagne reste la même. Elle ne change pas parce que celui qui la conduit est toujours là, plus puissant que jamais auprès du nouvel empereur, et ce que Guillaume II a dit dans ses derniers discours sur les alliances de l’Allemagne, sur la direction de sa diplomatie, n’est en définitive que le résumé des vues du chancelier.

Aujourd’hui comme hier, sous le nouveau règne comme sous les règnes qui l’ont précédé, cette politique invariable, profondément calculée, est bien facile à saisir : elle n’a qu’un but. M. de Bismarck ne veut que la paix, il ne cesse de l’assurer ; le nouvel empereur la veut comme lui, il vient de le déclarer devant le Reichstag, et on peut en croire de si puissans témoignages. Seulement le chancelier veut la paix à sa manière, en s’appuyant sur des forces militaires toujours croissantes, sur des armemens démesurés, et en nouant de toutes parts des alliances, de façon à isoler et à cerner la France, qui reste en réalité l’objectif de toutes ses combinaisons. Il y travaille depuis longtemps déjà, et il a réussi dans une certaine mesure ; il est arrivé à lier l’Autriche et l’Italie à sa cause, à les faire entrer avec lui dans la ligue de la paix, — de la paix comme il l’entend. Aujourd’hui, à la faveur du nouveau règne, il fait ou il médite, à ce qu’il semble, une tentative nouvelle, plus décisive que toutes les autres ; il veut reconquérir la Russie, qui, depuis quelque temps, par sa réserve énigmatique et inquiétante, trouble tous ses calculs, — toutes ses bonnes intentions dans l’intérêt de la paix universelle ! Ce n’est point évidemment sans raison que Guillaume II, dans un de ses derniers discours, a parlé des relations séculaires de la Prusse avec la Russie, de ses sentimens personnels pour le tsar. Ces paroles, déjà assez significatives, n’étaient encore qu’un préliminaire. Maintenant, d’après toutes les apparences, le nouvel empereur d’Allemagne se disposerait à faire un voyage à Saint-Pétersbourg. C’est le coup de théâtre de l’avènement au trône de Guillaume II ! M. de Bismarck veut à tout prix attirer la Russie dans l’alliance européenne, dont il est le grand organisateur. Il est prêt, bien entendu, à lui faire les plus larges concessions en Orient ; il a déjà plus d’une fois reconnu théoriquement ses droits, il lui laissera la liberté de rétablir par tous les moyens sa