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autre endroit encore, et toujours pour en tirer des conclusions dogmatiques, M. Hennequin dresse une liste sommaire de « littérateurs appartenant à la même nation, à la même époque,.. et présentant cependant des. caractères intellectuels nettement divers. » On est quelque peu étonné d’y voir figurer comme contemporains, « Joinville (1224-1319), Froissait (1337-1410), Communes (1447-1511), » qui vécurent, ainsi que l’on voit, à quelque cent ans de distance l’un de l’autre ; et, dans des temps plus modernes, où les générations littéraires se succèdent, en quelque sorte, plus rapidement, Mme de Sévigné rapprochée de Saint-Simon, lequel n’avait pas commencé d’écrire quand elle mourut, ou l’auteur de Manon Lescaut de celui de Gil Blas, dont on peut dire que l’un ne prit la succession de l’autre que pour la dénaturer. Je tâcherai de montrer tout à l’heure à M. Hennequin, dans un livre comme le sien, l’importance particulière de ces « vétilles ; » mais, en attendant, nous pouvons toujours dire qu’un peu plus de précision et de souci des dates ou des faits n’eût pas été pour nuire à l’intérêt, à la solidité, et à l’autorité de son livre.

Car, parmi toutes ces petites erreurs, on y trouve de fort bonnes choses, et qui paraîtraient bien meilleures encore, si la façon d’écrire qu’affecte M. Hennequin ne les embrouillait, ne les enveloppait, ne les obscurcissait comme à plaisir. Pour s’être un peu frottée de science et d’une certaine métaphysique, dans la fréquentation de Darwin et surtout d’Herbert Spencer, toute une jeune école, en imitant les mots, croit reproduire les choses, et, à défaut de l’esprit de la science, — ou pour se le mieux inoculer peut-être, — elle en copie religieusement le jargon. Qu’est-ce que « l’analyse esthopsychologique ? » Qu’est-ce que « la morphologie et la dynamique de l’œuvre d’art ? » Qu’est-ce qu’une « analyse littéraire intégrable dans une série de notions analogues conduisant à fonder des lois ? » Et notez que tous ces grands mots, dont on a l’air de se remplir la bouche, n’expriment rien que d’assez simple au fond. La morphologie de l’œuvre d’art, par exemple, c’est ce que l’on en appelait, voilà vingt ans, la genèse, assez prétentieusement déjà, et c’est ce que les bonnes gens appellent plus simplement l’histoire de sa formation et de ses transformations. De même, la dynamique de l’œuvre d’art, ne croyez pas que ce soit un si profond, mystère, et c’est tout uniment l’histoire des effets qu’elle a produits, de l’enthousiasme ou de la colère qu’elle a soulevés en son temps, de la nature et de la profondeur des émotions qu’elle nous procure encore. Mais alors pourquoi cet étalage de termes scientifiques ? Car, c’est au contraire quand l’on croit avoir des choses nouvelles à dire, qu’il faut les dire, comme soi seul sans doute, mais dans la langue de tout le monde ; — et il y en a quelques-unes dans le livre de M. Hennequin. Par exemple, il a parfaitement montré que,