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n’appartient pas à la « seconde moitié du XVIIIe siècle ; » sixièmement, qu’en Allemagne, Lessing a été précédé de Gottsched, sans parler de quelques autres ;… et toutes ces petites erreurs, parfaitement insignifiantes en soi, qui le seraient partout ailleurs, cessent de l’être et deviennent fâcheuses dans un livre dont le titre obligeait avant tout son auteur à cette précision qui fait le premier caractère de l’esprit a scientifique. » Rien de plus facile, en effet, que d’énoncer des idées générales et de les faire servir aux plus beaux développemens, quand on néglige, que l’on oublie, ou que l’on ignore les faits exacts qui les jugent, et presque toujours, en les jugeant, les ruinent ; mais rien aussi de moins « scientifique, » ni qui nous mette plus naturellement en défiance d’un auteur et d’un livre.

C’est le grand défaut de M. Hennequin : son livre, qui témoigne d’une ardeur de généralisation toute juvénile, témoigne aussi de quelque insuffisance d’informations, de lectures et de réflexions. L’histoire de la littérature française, en particulier, lui semble être un peu étrangère, ou du moins nous avons quelque raison de le croire, quand nous le voyons écrire des phrases comme celle-ci, par exemple, sur laquelle justement il prétend établir tout un long raisonnement : « Il a fallu deux siècles à Pascal et à Saint-Simon pour atteindre la renommée. » En effet, les Mémoires de Saint-Simon n’ayant paru pour la première fois qu’il y a cent ans au plus, on ne voit pas bien comment la renommée du noble duc eût pu précéder elle-même de cent ans la publication de ses œuvres. Mais pour Pascal, on ne connaît guère, au XVIIe siècle, de plus grand succès de librairie que celui des Provinciales, à moins que ce ne soit celui des Pensées, dont on possède jusqu’à sept ou huit éditions ou contrefaçons pour la seule année de leur apparition. Dans un autre endroit de son livre, adoptant pleinement l’opinion trop intéressée peut-être de certains critiques anglais et allemands, M. Hennequin reproche à la littérature française de n’être pas assez « nationale, » — ou plutôt il ne le lui reproche pas, ce n’est point comme il en use, et il ne se pique de rien tant que de ne pas « juger, » — mais il constate enfin qu’elle ne l’est pas. J’aurais voulu là-dessus, et pour en finir avec ce paradoxe irritant, qu’il prit la peine de nous dire en quoi Roméo et Juliette, Othello, le Marchand de Venise, Jules César ou Coriolan, sont aux Anglais des sujets plus « nationaux » que le Cid, ou Polyeucte, ou Andromaque, ou le Misanthrope à nous autres Français. Mais, je ne sais pourquoi, c’est une chose entendue parmi nous que Shakspeare, même quand il copie Plutarque ou Luigi da Porta, demeure Anglais, tandis que Racine ou Molière sont Grecs ou Latins, même quand, ils composent Bajazet ou Tartufe. Goethe aussi, apparemment, a traité des sujets « nationaux, » dans son Iphigénie en Tauride et dans son Torquato Tasso, comme Schiller dans sa Jeanne d’Arc ou dans son Don Carlos. En un