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chapeau de cardinal ; aucune justice n’était mieux due, et ce Farnèse, qui ne fut pas un pape médiocre, ne pouvait choisir avec plus d’intelligence un chrétien qui eût mieux mérité de l’église. Érasme refusa ; mais il put croire du moins, avant de mourir, en recevant cette réparation tardive et en voyant ses amis entourer la chaire de saint Pierre, que les âmes s’ouvraient à la modération et que la cause de la réforme catholique, à laquelle il avait donné sa vie, allait triompher.

Telle fut, dans ses grandes lignes, la conduite d’Érasme envers le pontificat romain, c’est-à-dire envers la forme sensible de l’orthodoxie. On voit que son voyage n’est pas inutile pour l’expliquer. S’il n’avait pas vu Rome, il aurait peut-être cru, lui aussi, à la nouvelle Babylone dénoncée au mépris du monde par les protestans. Il savait au contraire quelles ressources morales tenait en réserve la société romaine, et la conscience très claire qu’il avait des services rendus à la renaissance par l’Italie catholique aidait à le garder des entraînemens de son temps.

Parmi les causes multiples qui déterminèrent son attachement à la tradition, et sur lesquelles personne évidemment ne peut avoir la prétention de dire le dernier mot, il faut compter encore le caractère de ses liaisons avec des Italiens. Malgré bien des raisons intimes qui semblaient devoir la mener à la réforme, l’Italie est restée orthodoxe, et la réaction du concile de Trente a trouvé en elle son plus solide point d’appui. Tous les amis qu’Érasme y comptait ont, dès le début, pris parti contre Luther. N’est-il pas permis de croire qu’il a été influencé par l’exemple d’hommes qu’il estimait et admirait profondément, par la crainte d’attrister des cœurs fidèles et peut-être les mieux aimés ? Le souvenir évoqué d’un Bombasio, d’un Bembo, d’un Sadolet, n’a-t-il pas servi à empêcher notre humaniste, dans ses momens de plus mauvaise humeur contre Rome, de donner aux réformés des gages compromettans, de s’unir à eux par cette fraternité des premiers combats qui entraîne peu à peu, pour les batailles suivantes, l’assentiment de la conscience ? Érasme était extrêmement accessible aux considérations de sentiment, et c’est lui-même qui nous apprend que « ses liaisons les plus douces étaient avec des Italiens. » Au milieu des attaques très vives, théologiques ou littéraires, qui lui vinrent de leur pays, presque aucun de ces amis ne l’abandonna.

De nouveaux étaient venus remplacer ceux que la mort avait pris. Ce ne furent pas les moins dévoués. Érasme n’avait pas connu à Rome l’évêque de Carpentras, plus tard cardinal, Jacques Sadolet. Il se mit en relations par lettres avec ce prélat, l’un des plus nobles représentans de l’action évangélique, en ce temps où l’évangile s’obscurcissait. Leur correspondance révèle deux belles âmes