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comme un encouragement. Quant à lui, il ne saurait plus hésiter dans sa route : il voit, plus nettement que jamais, le but qu’il doit poursuivre et les moyens de l’atteindre.


IV

A côté de l’humanisme, Érasme a trouvé, en Italie, le catholicisme et la papauté. Sa conscience a rencontré la conscience italienne à la veille de la grande crise religieuse du XVIe siècle. Il n’est peut-être pas inutile de chercher quels furent, dans la vie du philosophe, les résultats de cette rencontre.

Érasme est un croyant. Ceux qui l’ignorent le jugent, comme dit M. Nisard, « par l’opinion confuse qui est restée de lui dans la mémoire des hommes. » Son œuvre presque entière appartient à l’apologétique et à l’édification, et ses travaux les plus légers en apparence prêchent le Christ à leur manière. Jusque dans le développement de l’humanisme, le moraliste voit un moyen d’adoucir les mœurs et d’amener les intelligences à une notion plus nette de l’évangile. Il est personnellement d’une grande piété ; il fait des vœux à saint Paul et compose des odes à sainte Geneviève. Le doute sur la foi chrétienne ne paraît même pas l’avoir atteint. On en cherche en vain la trace dans ses livres et dans cette correspondance où se reflète, au jour le jour, le tableau de ses inquiétudes et de ses troubles intérieurs. On aimerait à voir cette âme généreuse, cet esprit subtil et logique, aux prises avec des problèmes qui se posèrent de son temps et qu’il a contribué pour sa part à soulever. Mais il faut en prendre son parti et renoncer à un intéressant spectacle : cet indépendant, ce satirique, ce dialecticien de l’ironie, qui fait si souvent penser à Voltaire, a, sur certains sujets, la sérénité d’un Fénelon. C’est ailleurs qu’il faut contempler les hésitations de la conscience et les luttes instructives : c’est dans le rôle d’Érasme en face de la réforme. Cette histoire a été faite trop de fois pour qu’il y ait rien à y ajouter d’essentiel ; mais il faut se demander en quoi le voyage d’Italie peut servir à l’éclairer.

Les détails disséminés dans les œuvres d’Érasme suffisent à nous faire saisir les principales causes de la réforme. Elles sont, pour le dire en passant, tout à fait étrangères à celles de la renaissance. L’église avait déserté peu à peu la mission évangélique pour les jouissances de la terre. Les prélats étaient devenus princes, et plus princes que prélats. Les ordres mendians, multipliés par l’oisiveté et par l’ignorance, étaient les maîtres du monde catholique, et ce n’étaient point les vertus de leurs fondateurs qui régnaient avec eux. La puissance universelle et incontestée avait produit la ; corruption dans les mœurs, la routine dans les esprits : pouvant