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raillerie douce et sans amertume, plisse les coins mobiles de ses lèvres.


II

L’édition des Adages avait paru et courait déjà l’Italie. Après huit ou neuf mois de séjour, rien ne retenait plus Érasme à Venise. Il ne pouvait cependant se décider à quitter ses amis. Il résolut de passer l’hiver non loin d’eux, à Padoue. Il accepta d’être précepteur d’un fils du roi d’Ecosse, qui suivait les cours de la grande université vénitienne. Il fit à Padoue des connaissances nouvelles ; il se lia particulièrement avec un jeune helléniste qui d’ordinaire habitait Rome, où ils allaient bientôt se retrouver : il se nommait Scipion Fortiguerra et, grécisant son nom, suivant la mode du temps, se faisait appeler Cartéromachos. Érasme prenait ses conseils et ceux de Musurus, dont l’érudition prodigieuse faisait son admiration. Aux cours du maître crétois, il assistait, chaque matin, à un spectacle dont il a fixé avec émotion le souvenir. Dès sept heures, et malgré les rigueurs d’un hiver qui décourageait les jeunes gens, donnant l’exemple de l’exactitude et du zèle, on voyait arriver un vieillard septuagénaire, qui s’asseyait sur les bancs pour écouter Musurus. C’était Raphaël Regio, lui-même longtemps professeur de lettres latines et humaniste renommé, qui ne voulait pas mourir sans avoir profité des leçons de grec qu’il n’avait pas trouvées dans sa jeunesse. Ce trait suffit à peindre l’ardeur studieuse des Italiens du second âge de la renaissance, leur soif égale des deux sources antiques, leur désir de jouir des trésors de cette littérature grecque dont leurs pères avaient été privés.

Érasme se fût volontiers attardé à Padoue : il s’attachait déjà à cette université où les études littéraires, sagement réglées, lui semblaient mieux qu’ailleurs en juste harmonie avec la philosophie et la religion, et où il aima plus tard à envoyer ses jeunes disciples. Mais la guerre, un moment assoupie, menaçait de se réveiller avec violence. Le belliqueux Jules II, qu’Érasme rencontrait toujours sur son chemin, avait repris ses projets contre Venise, et on parlait déjà en Italie d’une ligue internationale conclue à Cambrai et dirigée contre la trop puissante république. Les étudians, ne se sentant plus en sûreté sur le territoire vénitien, quittèrent Padoue, et les cours furent interrompus. Érasme partit des derniers, avec le prince son élève : « Maudites guerres ! s’écriait-il, qui m’empêchent de jouir de ce coin d’Italie que j’aime chaque jour davantage. »

Ils firent une courte halte à Ferrare. Le nom d’Érasme, déjà bien connu des lettrés italiens, leur valut la visite des savans de la ville