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du corps, ni plus soumis à ses mouvemens, ni plus expressifs dans leur froide rigidité ou dans leur hypocrite luxuriance.

L’essentiel est que le caractère du personnage se dégage simplement et vivement de cet appareil passager et conventionnel. À ce compte, les effigies des frères Galignani auront la même valeur pour l’avenir que les belles figures couchées ou agenouillées sur leurs sarcophages auxquelles les artistes d’autrefois ont su donner une expression si nette et si vivante, quel que soit le vêtement dont ils sont enveloppés, armure aux arêtes anguleuses ou robe aux longs plis symétriques. L’artiste a posé l’un près de l’autre les deux frères en des attitudes familières, qui indiquent à la fois leurs habitudes de collaboration intellectuelle et leurs rapports de confiante affection. L’un d’eux, assis sur un fauteuil, sous lequel est empilée une collection du Galignani’s Messenger, tient une grande feuille de journal déployée sur ses genoux, et, relevant la tête vers son frère, qui se tient debout à sa gauche, semble lui poser quelque interrogation. Celui-ci, appuyé sur le bras du fauteuil, une main dans la poche de son pantalon, jouant de l’autre avec son binocle, se penche d’un air bienveillant pour approuver. Les deux têtes, d’un type très marqué, d’une expression intelligente et douce, doivent être d’une ressemblance parlante. Les vêtemens, ces terribles vêtemens, redingotes et pantalons, sont plissés et fripés avec une adresse naturelle et simple, qui en fait disparaître toutes les raideurs sans leur rien enlever de la correction qui convient aux habits de si parfaits gentlemen. Il est probable que M. Chapu a éprouvé moins de plaisir à manier ces draps noirs qu’il n’eût fait à manier la laine souple d’un blanc péplum sur une épaule de déesse, mais il n’est point mauvais que des artistes de cette valeur soient mis de temps à autre en présence d’embarras auxquels sont forcément exposés la plupart de leurs confrères. La façon même dont ils s’en tirent prouve aux autres que le problème n’est pas insoluble, et que les mieux armés pour le résoudre sont précisément ceux qui semblent aux gens superficiels s’y être le moins spécialement préparés.

Par un hasard singulier, M. Mercié, qui d’habitude se complaît autant que M. Chapu en la compagnie des héros et des dieux, s’est trouvé aussi, cette année, en présence d’une figure très nette, qui ne se prêtait pas plus que celle d’un directeur de journal aux transformations idéales. L’effigie de M. Zafiri, négociant grec établi à Constantinople, dont le tombeau doit s’élever dans un cimetière d’où l’on voit la mer, est comprise dans un esprit aussi moderne que possible. M. Zafiri, vêtu d’une redingote et d’un pardessus, chaussé de bottines à boutons, est assis, les jambes allongées, sur un large divan oriental. A ses pieds gisent des roses effeuillées. Il a