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charitables tant à Corbeil qu’à Paris. On peut voir, à la section d’architecture, les plans d’une maison de retraite construite à Neuilly, suivant leurs instructions, pour les hommes de lettres et les artistes sans ressources. Dans la section de sculpture, le groupe de M. Chapu atteste la reconnaissance de la ville près de laquelle ils habitaient, et que n’a pas oubliée leur générosité. C’est toujours une tâche assez ingrate (et nous en avons plus d’une preuve à l’exposition même) de poser sur un piédestal, au milieu d’une place publique, un personnage contemporain, surtout un personnage civil, n’ayant pour agrémenter les contours de sa silhouette sur le ciel que les pans maigres et secs du frac étriqué ou de la redingote égalitaire. Quelle peine il se faut donner pour dissimuler les pauvretés de ce commode et ridicule ajustement ! Il va sans dire qu’on ne se hasarde jamais à l’empirer en y ajoutant son complément nécessaire, le chapeau à haute forme, ce qui serait pourtant tout à fait régulier ; en sorte que tous les grands hommes du XIXe siècle, moins heureux que leurs prédécesseurs, tous noblement ou familièrement coiffés du tricorne, du grand feutre, de la toque ou du chaperon, sont absolument condamnés à demeurer tête nue dans l’éternité, sous les rigueurs du soleil et sous les fureurs de l’orage. Mais que de mal on doit prendre encore pour étoffer par quelque jet de manteau plus ample la maigreur des torses ainsi emprisonnés dans leurs fourreaux noirs, pour dissimuler surtout l’insignifiance et la raideur des jambes cachées dans des enveloppes maladroites, qui ne sont pas assez collantes pour laisser suivre le mouvement des membres, qui le sont trop pour substituer à l’expression du mouvement anatomique l’expression d’un mouvement décoratif ! S’il est difficile d’installer un gentleman en redingote de marbre qui fasse bonne figure à quelques mètres de terre, combien doit-il être plus scabreux d’en installer deux à la fois ! Tel était le problème posé devant M. Chapu, qui l’a résolu tranquillement et sans fanfaronnade, en artiste intelligent et en habile ouvrier. N’avons-nous pas le droit, après tout, aussi bien que nos pères, de passer chez la postérité tels que nous sommes ? Ne devons-nous pas avoir le courage de nous montrer chez nos arrière-neveux avec nos vêtemens ridicules, puisque nous n’avons pas le courage d’en changer ? Ces arrière-neveux seront probablement pour nous beaucoup plus indulgens que nous-mêmes, et ils trouveront certainement un attrait pour leur curiosité historique dans la sincérité même de nos ajustemens, si singuliers qu’ils puissent être, comme nous en trouvons nous-mêmes un très vif dans l’exactitude de certains costumes bizarres du moyen âge ou du XVIIe siècle, qui n’étaient pas, après tout, ni mieux adaptés que les nôtres à la forme