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forme d’art implacable comme la forme sculptée. C’est tout au moins, il nous semble, ce qu’auraient pensé les Athéniens du temps de Périclès. Quoi qu’il en soit, la figure de M. Puech est un excellent travail ; il était difficile de se mieux tirer d’un pas si périlleux. On s’arrête encore avec grand plaisir devant quelques figures masculines d’adolescens ou d’enfans, parmi lesquels les marbres de MM.  Worms-Godfary et Gardet tiennent le meilleur rang. Le Précurseur de M. Gardet est un bébé assis, agitant une petite croix, qu’on peut reconnaître pour l’avoir déjà aperçu aux pieds de la vierge, devant le petit Jésus, chez Léonard de Vinci ou ailleurs ; ce futur mangeur des sauterelles qui se promènent allégoriquement sur son piédestal, cet ascète en herbe, possède, pour le moment, des petites joues bien pleines et un ventre rondelet qui font plaisir à voir ; la figure est aimable, toute voisine de la minauderie dans la conception comme dans la facture caressée à l’italienne. Il y a plus de simplicité, plus de candeur véritable, plus de bonhomie à la française, dans la manière dont se présente la figure de M. Worms-Godfary, le Jeune Garçon mordu par une vipère. C’est un petit paysan debout, qui tient encore sous son pied, se tortillant et agonisante, la bête venimeuse qui l’a blessé, tandis qu’il presse de la main droite la morsure qu’elle lui a faite sur le dos de la main gauche. Le garçon s’examine avec un soin et une simplicité dignes de son camarade grec, le beau tireur d’épines, qui mettait tant d’attention, l’on s’en souvient, à se soigner le pied. Sa nudité, d’ailleurs, n’est pas moins complète, et M. Worms-Godfary a sculpté ce corps souple et délicat d’adolescent avec un scrupuleux respect et un amour précis de la forme qui témoignent d’études spéciales longuement et méthodiquement poursuivies. La figure, plus vêtue, d’une jeune fille se défendant contre un Coup de vent, par M. Pilet, est encore une statue agréablement composée dans un sentiment plus moderne.

Presque tous les sculpteurs dont nous venons de parler se sont exercés sur des thèmes restreints, qu’ils avaient eux-mêmes choisis ; ils ne se sont donc pas trouvés en présence des difficultés multiples et imprévues que présentent la conception et l’exécution, soit d’un ensemble de figures destinées à décorer un édifice ou un monument, soit d’une figure imposée dont on ne doit pas modifier le caractère. Ces difficultés, de diverses natures, peuvent quelquefois paraître insurmontables, comme l’eussent été, sans doute, pour beaucoup d’autres, celles dont M. Chapu s’est tiré victorieusement dans son groupe en marbre des Frères Galignani, destiné à la ville de Corbeil. Les frères Galignani, les fondateurs du Galignani’s Messenger, Anglais de naissance, Français de cœur, sont morts, on le sait, en laissant des legs considérables pour des fondations