Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 88.djvu/169

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à M. Houssin d’enrichir son système musculaire avant de le couler en bronze. L’ouvrage, ainsi amélioré, pourra faire bonne figure dans un jardin. On ne saurait adresser un reproche du même genre à la Fortune enlevant son bandeau, par M. Gustave Michel ; s’il y avait chez elle quelque correction à désirer au point de vue des formes, ce serait plutôt dans le sens de l’atténuation que de l’augmentation. On pourrait observer, il est vrai, que l’action même à laquelle se livre cette Fortune, action très audacieuse, tout à fait inattendue et bien contraire aux traditions expérimentales de l’antique légende, implique de sa part une forte dose d’énergie morale. S’il y a une Fortune virile, c’est bien celle-là, qui veut enfin, après tant de siècles mal employés, voir clair à ce qu’elle fait et distribuer ses faveurs à ceux qui les méritent. M. Gustave Michel, l’auteur, nous l’avons rappelé, d’un de ces groupes de l’Aveugle et du Paralytique qu’on avait pu comparer, en 1881, à celui de M. Turcan, a traité cette donnée originale avec un sentiment élevé de l’expression plastique et morale. La déesse, un pied en avant, l’autre suspendu encore sur sa roue d’où elle est descendue et qui tombe derrière elle, s’élance en arrachant, par un mouvement décidé, le voile qui lui couvrait les yeux. La tête, d’un type assez moderne, mais soigneusement choisi, montre un caractère de beauté noble et de simplicité intelligente qu’il est bien rare de pouvoir admirer dans les œuvres contemporaines de sculpture, où presque toujours les visages et les physionomies restent les parties les moins intéressantes, soit à cause de l’extrême banalité des types, soit à cause de leur réalisme excessif. Le torse, ferme et souple, n’est pas indigne de cette belle tête ; et c’est seulement dans les parties inférieures du corps qu’on pourrait désirer un modelé plus délicat et plus ressenti. La matière dans laquelle M. Michel se décidera à fixer cette heureuse inspiration devra décider d’ailleurs du genre d’améliorations matérielles qu’il y pourra apporter. Les exigences du marbre, de la pierre, du bronze, sont si différentes, qu’une figure, même comme celle-ci, pouvant se prêter, sans répugnance, au point de vue linéaire, à des transformations diverses, n’en reste pas moins obligée de modifier ses apparences plastiques suivant l’opacité ou la transparence, la dureté ou la mollesse de la matière employée. C’est ainsi qu’une excellente figure dont nous avons parlé avec éloge l’année dernière, l’Orphée de M. Peinte, d’une découpure vraiment heureuse, n’a pas gagné, autant qu’elle le devait, à se changer en bronze, parce que le modelé, trop adouci et trop caressé, n’offrait pas d’un bout à l’autre l’accent et l’élasticité qu’exige cette matière absorbante et résistante. Au contraire, le Chasseur de M. Carlès, chasseur des temps héroïques, apportant en triomphe sa proie sur ses épaules,