Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 88.djvu/168

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la gaîté dans cette sculpture vivante et chiffonnée, sans sortir des règles de la bonne plastique. M. Allouard a fait de même, avec un succès mérité, dans sa Lutinerie, où l’on voit une Bacchante, étendue sur une peau de lion, corrigeant un très jeune Faune qui paraît avoir voulu prendre quelque liberté précoce avec la belle endormie. La dame, plus coquette qu’offensée, n’y va pas de main morte, et l’oreille pointue du polisson qui agite ses pieds de bouc en faisant une grimace douloureuse, s’allonge lamentablement sous les doigts élégans qui la tirent. C’est galamment arrangé, finement étudié, soigneusement exécuté. Au XVIIIe siècle, on eût commandé à M. Allouard une réduction de ce joli marbre pour en faire un sujet de biscuit de Sèvres à placer dans les boudoirs à la mode.

C’est encore aux souvenirs mythologiques que MM. Coulon, Guilloux, Houssin, Michel, Pépin, Lemaire, en s’inspirant des traditions françaises, MM. Leenhoff, Mégret, Barthélémy, en se rattachant plus étroitement à l’imitation antique, MM. Astruc et Granet, en se souvenant de la renaissance, ont emprunté les sujets de leurs groupes ou de leurs figures. L’Hebe cœlestis de M. Coulon, dont le modèle avait été médaillé au Salon de 1886 et dont nous avons parlé alors, a gardé dans le marbre son bon aspect plastique et décoratif. La première apparition de l’Orphée expirant de M. Guilloux, qui avait fait connaître ce jeune artiste, remonte à 1881 ; on voit que l’auteur a mis du temps pour achever et polir son ouvrage. C’est de la bonne sculpture française, d’une conception judicieuse, d’un sentiment distingué, d’une exécution consciencieuse, ce qu’on appelait autrefois l’œuvre d’un homme de goût. Aucune affectation dramatique ni sentimentale. Le beau poète, frappé par les Bacchantes, est tombé sur le sol. Épuisé, désespéré, résigné, n’ayant presque plus la force de dresser l’un de ses bras pour se défendre contre les derniers coups de ces forcenées, il se soulève avec peine sur l’autre bras, laissant tomber sa lyre inutile. Le Phaéton de M. Houssin présente des lignes plus mouvementées. Par une inspiration assez hardie, le sculpteur a représenté le fils présomptueux du Soleil au moment même où, frappé sur son char par la foudre de Jupiter, il chancelle prêt à tomber. Bien qu’une attitude pareille soit bien difficile à saisir et à fixer, sans invraisemblance, dans la matière plastique, qui ne dispose pas, pour expliquer et justifier ces mouvemens transitoires, des ressources complémentaires de la peinture, M. Houssin s’est tiré avec goût et adresse de ce pas difficile. Sa figure, sans être trop agitée, se débat suffisamment au milieu des débris du char brisé et des lambeaux de draperies flottantes pour que l’action se comprenne et s’explique. Peut-être ce Phaéton est-il un peu maigre et efflanqué pour un fils de dieu, mais il sera facile