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MM. Tony-Noël, Peynot, Labatut, sont des sculpteurs expérimentés qui peuvent s’attaquer sans péril à des figures gigantesques, parce que chez eux la vaillance du ciseau est égale à la vaillance de l’imagination, et qu’en taillant des formes colossales, ils n’en compromettront pas l’effet simple et grandiose par la recherche de détails insignifiant ou l’accentuation inopportune d’une habileté superficielle. Leurs œuvres pourraient être brisées que tous les morceaux crieraient encore la grandeur de l’ensemble. M. Injalbert appartient aussi à cette lignée de modeleurs puissans, mais il y apporte une recherche particulière du mouvement décoratif et un goût marqué pour la tradition un peu pompeuse du XVIIe siècle français. Sans avoir l’importance des grands reliefs qu’il exposait l’année dernière, sa Renommée et sa Douleur le montrent suivant avec résolution la voie qu’il a choisie. La Renommée, une belle figure volante en haut-relief, ouvrant largement ses grandes ailes, en traînant dans l’espace un long flot de draperies, n’est point la plus originale ; on y peut reconnaître quelques réminiscences de MM. Chapu et Mercié. La Douleur, au contraire, figure allégorique destinée à un tombeau, rentre plus dans l’ordre habituel des conceptions décoratives du sculpteur. C’est une jeune femme, enveloppée, surchargée, presque écrasée de lourdes draperies, sous lesquelles elle s’avance en trébuchant, et qui, tenant de la main gauche une grande couronne d’immortelles, cherche à écarter de son front, en même temps que le voile qui lui pèse, le souvenir qui l’oppresse. Le jeu des contours et des lumières, savamment ménagé dans cette complication de saillies et de plis, accentue encore l’expression de lenteur funèbre et d’écrasement moral que le sculpteur a voulu donner à cette apparition désolée. Il est regrettable de ne pas trouver un sentiment si élevé dans le groupe intéressant dû à M. Cordonnier, un autre sculpteur chercheur et audacieux, d’une extraordinaire habileté à pétrir l’argile ou à tailler le marbre. Pour représenter la Maternité, M. Cordonnier a choisi une jeune femme d’un type étrange, un peu sauvage, avec un air effaré et un sourire animal d’intention préhistorique sans doute, mais d’une expression, difficile à définir. Cette individualité typique et trop marquée de la physionomie rapetisse l’effet d’une composition qui, puissamment massée et largement exécutée, se présente bien au regard, et qui contient des morceaux traités avec une véritable maîtrise, notamment la poitrine de la mère et les deux enfans. Ceux-ci, gras et potelés comme de petits Bacchus, n’ont rien conservé de l’étrangeté du type maternel. M. Cordonnier, en oubliant peut-être la bizarrerie de sa première inspiration, s’est retrouvé, pour représenter ces petits êtres endormie, soudains, bien portans, un véritable sculpteur, simple et fort, ce qu’il devrait toujours être.