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mâle et résolue, taillé dans un marbre d’un grain serré et d’un ton sévère, avec une largeur et une sûreté peu communes, est un de ces morceaux de bravoure qui font honneur à toute une école, en attestant la force de l’enseignement traditionnel qu’on y reçoit et qu’on y transmet.

Parmi les successeurs de M. Tony-Noël à la villa Médicis qui en ont rapporté comme lui le goût des conceptions robustes, on a remarqué, depuis plusieurs années, MM. Peynot et Labatut. M. Peynot, dont nous avons loué ici même la Proie et le Pro Patria en 1886, n’expose cette année que le modèle en plâtre d’un groupe décoratif destiné à occuper le milieu d’un bassin dans le parc de Vaux-le-Vicomte ; c’est un Triton gigantesque sonnant d’une conque marine et se roulant avec deux enfans au milieu des vagues ; on peut déjà prévoir, par l’allure vivante et libre de ce modèle, l’effet pittoresque qu’il produira sous le ruissellement d’un jet d’eau dans un joyeux mouvement de lumières. Quant à M. Labatut, ses deux envois, un Roland en marbre et un Moïse en bronze, attestent tous deux un tempérament vigoureux de sculpteur et de fortes études chez les maîtres les plus virils de la renaissance. Le Moïse, un Moïse jeune, vif, bien découplé, le Moïse ardent et imprudent qui, voyant un Égyptien frapper un de ses frères hébreux, le tue du coup et l’enfouit sous le sable du désert, se rattache, par la fière découpure de ses membres nus et par la vivacité sèche de son mouvement, à l’école de Donatello et de l’Ammanati. Un pied sur le cadavre écrasé et replié de sa victime, foulant de l’autre un fragment d’inscription hiéroglyphique, ce jeune homme furieux, jetant d’une main loin de lui la couronne égyptienne et de l’autre étreignant un yatagan, semble autant une figure allégorique qu’une figure historique. Si les accessoires sont orientaux, il n’y a d’ailleurs aucune recherche d’orientalisme dans le personnage lui-même, qui reste un personnage d’allure décorative et d’expression générale dans sa nudité antique à la mode florentine du XVe et du XVIe siècle. Peut-être, de notre temps, conviendrait-il de chercher à pénétrer un peu plus avant dans la vraisemblance historique ; si rien ne garantit à l’artiste, non plus qu’à l’écrivain, qu’il retrouvera jamais la certitude du type disparu, il est certain pourtant que le seul effort fait pour l’atteindre donne presque toujours à son œuvre un accent de vie plus imprévu et plus nouveau ; les hommes de la renaissance ne faisaient pas autrement, lorsqu’en transformant en héros leurs camarades et leurs voisins, ils s’imaginaient volontiers faire œuvre de résurrection savante. Dans un sujet aussi moyen âge, aussi français, que le Roland à Roncevaux, on eût été heureux, par exemple, de trouver, au moins dans le costume, quelques indications spéciales plus