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Mais si Dahlmann et ses amis repoussaient l’idée d’une politique violente ou révolutionnaire, comment espéraient-ils agir ? — Par les armes familières au professeur et à l’homme de lettres : par la chaire, par le livre, par le journal. Ces moyens d’action peuvent être puissans, en effet, mais à la condition de n’être pas paralysés par des circonstances trop défavorables. Fichte, par exemple, avait pu exercer une influence profonde sur les esprits par ses « Discours à la nation allemande, » prononcés à Berlin pendant l’occupation française. Mais, après 1815, le langage hardi de ces discours n’eût pas été toléré sans doute par l’administration prussienne. La liberté de l’enseignement n’était guère que nominale. Pour mieux dire, liberté était laissée au professeur de soutenir telle doctrine qu’il lui plairait, pourvu qu’elle ne touchât de près ni de loin aux questions religieuses ou politiques. Dans les années qui suivirent la paix, les universités avaient passé, à tort ou à raison, pour entretenir l’agitation libérale contre les gouvernemens. La turbulence des étudians avait paru justifier cette imputation. Aussi, après la fête de la Wartbourg et l’assassinat de Kotzebue, l’Autriche avait-elle provoqué des interdictions rigoureuses contre les associations d’étudians. La Prusse avait renchéri sur ces mesures réactionnaires. Elle procéda brutalement par l’exil et par la prison. La persécution s’arrêta bientôt : l’opinion publique ne s’expliquait pas un tel déploiement de rigueur contre des gens inoffensifs, ou même contre des patriotes éprouvés, tels que Arndt, Görres et Jahn. Mais il resta, à l’égard des étudians et de leurs maîtres, une défiance toujours en éveil et prête à s’emparer du moindre prétexte pour sévir. Le gouvernement prussien, en particulier, ne se départit pas d’une surveillance très active sur l’enseignement et sur le caractère des professeurs.

Vingt ans plus tard, en 1837, l’affaire de Göttingen vint montrer que les dispositions de la Prusse n’avaient pas changé. Le roi de Hanovre, fatigué de la constitution qu’il avait lui-même octroyée à ses sujets, la supprima simplement, en déclarant qu’elle avait cessé d’être en vigueur. Sept professeurs de l’université de Göttingen protestèrent respectueusement contre ce coup d’état. Le roi, fort surpris, et encore plus irrité, les destitua sans autre forme de procès. Il en bannit même plusieurs, et particulièrement Dahlmann, qui passait pour l’auteur de la protestation. Gervinus et l’un des frères Grimm furent également exilés. Ces savans étaient déjà célèbres à divers titres. Ils comptaient qu’un sentiment de réprobation unanime s’élèverait en Allemagne contra le procédé du roi de Hanovre, et que toutes les universités allaient se disputer l’honneur de les appeler à elles. Ils furent bientôt