Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 88.djvu/114

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

robe à taille courte et en cothurnes, tendre et résignée, habile à jouer de la harpe. Elles ne haïssent pas ce qui leur secoue les nerfs violemment, et lisent, de préférence aux Passages de la vie d’une dame sous George III, Dynamite[1], ou les Aventures étranges de Lucy Smith[2]. Dans ce dernier roman, qui nous montre comment une jeune institutrice sans place s’y prit pour vendre ses rêves et pour rompre ensuite un contrat incommode, M. Philips, toujours « dans le mouvement, » a fait un adroit mélange de plusieurs choses en vogue : le magnétisme, la science occulte et les scandales de Londres, sous forme de roman sensationnel. Le réveil du gros roman à sensation n’a pas contribué médiocrement, depuis quelques années, à l’abaissement du genre de littérature qui nous occupe. Les terribles inventions de Hugh Conway éclipsèrent tout à coup celles de miss Braddon et de Wilkie Collins, dont on était quelque peu revenu ; elles firent leur chemin à la fois en Angleterre et sur le continent. N’a-t-on pas dévoré en France le Secret de la neige, vivant ou mort, Affaire de famille, etc. ? Ce qui, joint à la perversion du Society novel, semblerait indiquer, en somme, que les deux pays exercent l’un sur l’autre, au point de vue des mœurs et du goût, une assez mauvaise influence.


II

Un autre romancier connu à l’étranger presque autant que chez lui, c’est M. Rider Haggard, dont le premier ouvrage, King Solomon’s Mines, obtint un succès dangereux pour son auteur ; il faut attribuer, en effet, aux éloges démesurés de la presse la fécondité prodigieuse qui lui fît produire en deux ans cinq ou six volumes, parmi lesquels Jess est seul digne de remarque.

Nous reconnaissons du reste que Jess et les Mines de Salomon suffiraient à établir la réputation de M. Rider Haggard, pourvu qu’elle ne fût pas surfaite. C’est l’excès de l’admiration qui- impose forcément quelque sévérité à la critique. Certes, ce livre à demi sérieux, à demi fantastique, les Mines de Salomon, est amusant d’un bout à l’autre ; le sujet en est bien charpenté, habilement conduit, les nombreux personnages vivent et nous attachent. Voilà beaucoup de mérites ; mais si l’on vante trop haut le génie inventif, la parfaite originalité de M. Rider Haggard, nous cesserons d’être d’accord avec la masse de ses lecteurs. Cette expédition merveilleuse dans le Kakuanaland nous semble participer à la fois de Monte-Cristo et des Voyages extraordinaires de Verne, le tout fort joliment

  1. Voir le Roman étrange en Angleterre, dans la Revue du 15 avril 1888.
  2. The Strange adventures of Lucy Smith, by F. -C. Philips, 1887.