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pour sa proposition de révision, il a eu à essuyer, une heure durant, les désaveux et les épigrammes, qui ne lui ont pas manqué. Qu’on ne se hâte pas trop, cependant, de triompher d’un vote. Le député du Nord, avec ses idées incohérentes, n’est rien par lui-même, et il ne reste pas moins un danger, parce qu’il représente, sans titre, sans raison, si l’on veut, mais avec la hardiesse d’un ambitieux qui sait profiter de tout, les mécontentemens, les griefs, les déceptions, les ressentimens accumulés dans le pays par dix années d’agitation et d’impuissance. Sa force n’est pas au Palais-Bourbon, elle est au dehors, dans le malaise public, dans la révolte d’une opinion fatiguée, qui ne sait peut-être pas bien ce qu’elle veut et qui, par cela même, est d’autant plus facile à séduire. Le seul succès parlementaire que le député du Nord ait obtenu, et auquel il ne s’attendait pas sans doute, a été de raffermir le ministère par une victoire presque forcée de scrutin. Pour le coup, M. le président du conseil a eu ou a cru tenir ce qu’il voulait. Il a vu se réaliser à son profit, pour la circonstance, la concentration républicaine, la vraie concentration, celle où M. Basly, M. Camélinat, même M. Félix Pyat, se confondent avec la majorité ! Malheureusement, M. Floquet n’a pas vu que, si M. le général Boulanger lui a préparé ce succès, il fait à son tour, plus qu’il ne le croit, les affaires du député du Nord par cette politique qui réunit, devant le pays étonné, des républicains prétendus modérés et des séides de la commune, ceux qui hier encore traitaient d’assassins les soldats de l’armée de Versailles. Voilà un des résultats de cette séance de l’autre jour !

Rien n’était plus aisé, rien n’était plus naturel sans doute, que de combattre les prétentions dictatoriales de M. le général Boulanger. M. Clemenceau, l’allié de M. Joffrin et du ministère, l’organisateur de la nouvelle Société des Jacobins, a pu se donner des airs de libéralisme en se faisant le défenseur des libertés, des garanties parlementaires, des régimes où l’on parle. M. le président du conseil, qui a le goût des épigrammes et des mots à effet, même des mots qui ne signifient rien, a pu pulvériser le dictateur du Nord avec les souvenirs de Bonaparte, et lui dire, on ne sait à quel propos, on ne sait par quelle confusion de personnes, qu’il serait le « Sieyès d’une constitution mort-née. » C’est peut-être joli pour ceux qui n’y regardent pas de si près, — à moins que ce ne soit simplement ridicule ; mais, de toute façon, ce n’est qu’un mot, et ce n’est pas apparemment avec des mots que M. le président du conseil se flatte de détourner un mouvement après tout menaçant, d’éclairer, de rassurer le pays. Il faudrait, en vérité, autre chose. L’unique moyen de faire face à un danger, qu’il ne faut pas exagérer, qui existe néanmoins, serait de lui opposer un gouvernement, une politique sensée, une défense résolue de toutes les garanties de stabilité, et, sur ce point, M. le président du conseil ne paraît pas avoir mis encore beaucoup d’ordre dans ses idées. La seule