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la Chanson des gueux, à l’auteur des Blasphèmes ? .. Il plonge la mèche : ah ! bouchons-nous les oreilles !

… Rien, on n’entend rien ; .. on écarte un peu les paumes, et puis on ouvre un œil, prudemment ; et voici ce qu’on aperçoit.

Pour décor : l’honnête logis d’une famille bretonne, au bord de l’Océan ; pour acteurs : le chef de cette famille, « ancien patron au cabotage, » sa bru, sa petite-fille, son petit-fils (cousin de sa petite-fille), un ami de son petit-fils. Le vieux marin est un patriarche, la bru est une excellente dame, la petite-fille une jouvencelle adorable : où donc est le flibustier ? C’est l’ami, c’est le petit-fils lui-même qui prennent ce titre ; mais ces braves garçons, apparemment, n’ont souscrit « le pacte de flibuste » que pour s’engager l’un envers l’autre à des devoirs particuliers, dont l’étroitesse renforcera l’intérêt de l’action : ils ne sont « frères de la côte » que pour être frères d’armes avant de se trouver rivaux.


Mon Dieu ! comme c’est donc timide, un flibustier !


Ainsi murmure la gentille héroïne. Et l’on se demande si M. Richepin lui-même, pour présenter au public des flibustiers pareils, serait devenu timide, par miracle.

Non pas ! mais il est avisé. Parce qu’il a chanté les vagabonds, le croyez-vous extravagant ? Parce qu’il a déblatéré contre Dieu, le croyez-vous possédé ? Il est sain d’esprit et lucide ; il a toute sa tête, qui est une tête française. « Touranien, » soit ! il est Touranien de Touraine. Pour l’équilibre moral, il en remontrerait à un Flamand ; pour la finesse, à un Gascon. Pensiez-vous sérieusement qu’il produisit sur la scène des héros scandaleux, qu’il leur commandât des tours extraordinaires ? Pas si bête ! Il sait bien que nos amateurs de spectacles ne veulent pas être inquiétés ni même étonnés. D’ailleurs, il est poète : il n’aborde le théâtre qu’avec une singulière défiance ; il s’oblige plus strictement qu’un autre à respecter la coutume de l’endroit. Bon vieillard, bonne fillette, bons flibustiers, je veux dire bons jeunes gens, amoureux et rivaux, n’offenseront et ne surprendront personne… A l’heure même où il les pose sur les planches, M. Richepin lâche dans le roman (Césanne) des créatures autrement curieuses, il leur permet des aventures autrement violentes !

Ici, à la Comédie-Française, le grand-père attend le retour de son petit-fils, parti depuis quinze ans et fiancé à sa petite-fille. Il espère tous les jours le voir entrer dans le port, et la douce enfant flatte sa manie. Tandis que la bru, plus raisonnable et plus décourageante, garde la maison, un matelot inconnu se présente ; il demande si son ami Pierre n’est pas revenu. Non ? Alors, c’est que Pierre est mort. Jacquemin, — c’est le nom du matelot, — rapporte un chapelet et