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souffrance de Margared et la haine de Karnak. L’émotion redouble et parvient à son comble avec ces deux vers lancés à toute volée :


Et puis ils s’en iront, et les vents embrasés
T’apporteront ce soir l’écho de leurs baisers !


La rime est peut-être défectueuse, mais le mouvement musical est irrésistible. Voilà un duo de premier ordre. On a rappelé, à propos de lui, le duo de Telramund et d’Ortrude, deux traîtres aussi, au début du second acte de Lohengrin ; celui de M. Lalo est le meilleur, parce qu’il est le plus concis. Il montre bien comment on peut profiter du génie de Wagner en le corrigeant.

Il faut finir. Il resterait encore à dire pourtant, et à louer. Quelle bonne fortune qu’une œuvre pareille, et qu’on a de plaisir à la réentendre, à la relire, à faire en elle toujours de nouvelles découvertes ! Il faudrait parler du duo d’amour, si bref et si pénétrant, plein de distinction mélodique, rythmique et instrumentale, signaler le dessin de flûtes par lequel il commence, le retour de plusieurs motifs connus par lequel il s’achève. Il faudrait noter la prière du roi et de Rozenn demandant à Dieu le repentir de Margared, tandis que Margared elle-même, cachée, s’attendrit à la voix de son père et de sa sœur.

On a dit que l’inondation finale était de trop ; qu’il eût mieux valu, après la réunion de Margared à sa famille, baisser brusquement le rideau sur un écroulement de décor. On a dit surtout que le tableau symphonique ne valait pas un tableau analogue, celui du Déluge, de M. Saint-Saëns. C’est vrai, mais il ne faut cependant pas faire fi de cet épilogue. Remarquez, par exemple, les cris, ou plutôt les avertissemens sinistres, des hommes réfugiés sur le rocher. L’eau monte ! l’eau monte ! Remarquez aussi certains accords qui ondoient comme la houle. Écoutez le chœur qui menace et maudit Margared ; il y passe je ne sais quel souille de Gluck. Écoutez enfin le dernier cri de Margared avant la chute. Comme il est crâne ! Non, ce n’est pas mal finir que de finir ainsi. Il est possible seulement, et même certain, que ce dernier tableau gagnera à l’Opéra. Oui, à l’Opéra ; l’œuvre a là-bas sa place marquée et l’y prendra, quand elle aura rendu au directeur qui l’a accueillie un peu de ce que celui-ci a fait pour elle.

Et puis, elle ne nous déplaît point à l’Opéra-Comique ; on en jouit de plus près ; on l’entend mieux, bien que parfois un peu trop. L’orchestration de M. Lalo est très cuivrée, et les fanfares dont elle retentit sont un peu sonores, sinon pour le sujet, au moins pour le local. Mais le reproche ne s’adresse ni au compositeur, ni à l’orchestre de M. Danbé, qui a joué le Roi d’Ys avec la dernière perfection.

M. Talazac soupire le rôle de Mylio plus qu’il ne le chante ; mais il