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Chez les deux branches du schisme, les premiers centres religieux furent des skytes ou ermitages (skity), sorte de couvens qui groupaient autour d’eux un certain nombre d’adhérens et communiquaient avec les sociétés affiliées des différentes provinces. Ces communautés se cachaient d’ordinaire dans l’épaisseur des forêts ou s’abritaient sous la domination étrangère, au-delà des frontières de l’empire. Dans tous les centres du raskol, des villages de sectaires s’élevaient autour des ermitages de leurs moines. Les communautés de popovtsy ou de sans-prêtres servaient de noyau à de laborieuses colonies. Le XIXe siècle leur a été plus dur que le XVIIIe. Les skytes les plus renommés ont été fermés ou détruits sous le règne de Nicolas. Leurs murs en ruines sont restés, pour les raskolniks, une sorte de lieux saints que visitent les pèlerins du schisme. Ainsi, dans le gouvernement de Saratof, les fameux monastères de l’Irghiz; ainsi, dans les forêts du gouvernement de Nijni-Novgorod, les curieux skytes de la rivière de Kerjenets, un des plus anciens refuges des vieux-croyans, qui, par le Volga, communiquaient facilement avec Nijni, Moscou et tout l’empire. Ces communautés de popovtsy fondées dès le XVIIe siècle, se composaient de plusieurs couvens échelonnés dans la vallée. Quelques-uns de ces monastères, Komarof, par exemple, étaient de véritables villes formées de vastes chaumières ou izbas, reliées entre elles par des passages couverts ; Komarof abritait, dit-on, 2,000 habitans des deux sexes.

Ces skytes du Kerjenets, l’empereur Nicolas, non content de les fermer, les fit jeter à terre vers 1850. Contre ces humbles asiles des vieux-ritualistes, il déploya presque autant d’acharnement que Louis XIV contre Port-Royal. Les recluses du schisme, chassées de leurs cloîtres rustiques, ne montrèrent pas moins d’énergie que les victimes du grand roi. Telle de leurs obscures abbesses eût pu se comparer à la mère Angélique Arnauld. Entre les jansénistes français et les starovères russes, malgré tout l’intervalle mis entre eux par l’ignorance des uns et l’érudition des autres, il serait facile de découvrir de nombreux points de ressemblance. De même qu’à Port-Royal-des-Champs, la vénération des persécutés s’attacha aux murs des couvens abattus par l’orthodoxie officielle. Des religieuses expulsées des monastères du Kerjenets en sont revenues garder les tombes délabrées, qui attirent des vieux-croyans de toutes les parties de l’empire.

Les skytes détruits se sont, du reste, reformés à peu de distance des ruines d’Olénief et de Komarof. Les nonnes chassées par Nicolas avaient, sur leurs coreligionnaires, le fascinant prestige du martyre. Plusieurs étendaient jusqu’aux orthodoxes leur mystérieux ascendant. Ainsi, notamment, la mère Esther, l’ancienne supérieure d’Olénief. M. Bezobrazof l’a vue, à la fin du règne