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Ne demandez pas selon quel système est conçue l’œuvre de M. Lalo ; nous ne nous en inquiétons guère. Il se pourrait qu’elle fût conçue selon ce système, à la fois le plus simple et le plus difficile de tous, qui consiste à faire avec un bon poème de très bonne musique. Il y a de tout dans le Roy d’Ys : des airs, oui, des airs, et des chœurs, et des duos mélodiques et concertans, et de naïves chansons, et une ouverture faite des principaux motifs. Les avancés de la musique, en dépit de leurs théories, ont trouvé tout cela superbe, et ils ont eu raison. — Il y a aussi une déclamation fort expressive, une prosodie irréprochable, un souci constant des situations, des vers et des mots, un orchestre traité par un maître, étonnant tour à tour d’éclat et de douceur ; beaucoup de liberté, de fantaisie même, dans la coupe des morceaux ; tout cela, les retardataires de la musique, en raison de leurs théories aussi, le trouveront peut-être mauvais, et ils auront tort.

Le Roi d’Ys possède les qualités qui font les œuvres de prix : la sobriété sans la sécheresse, l’originalité sans la bizarrerie, la grâce et la force sans afféterie ni brutalité. Deux heures et demie de musique, pas davantage. Quel mérite par ce temps de bavardage et de redondances ! Et puis la musique de M. Lalo ne ressemble à aucune autre ; elle ne trahit aucune influence, pas plus celle de Gounod que celle de Wagner. Les idées de M. Lalo sont à lui. Enfin le compositeur a la main assez légère pour les situations les plus douces, assez vigoureuse pour les plus fortes. — Que souhaitez-vous de plus, dira-t-on ? — Eh ! mon Dieu, peut-être rien pour le moment. La critique, voyez-vous, se plaît moins qu’on ne l’imagine à décrier et à médire ; elle cherche le beau ; permettez-lui de se réjouir quand par hasard elle croit le rencontrer. D’aucuns ont dit que l’œuvre de M. Lalo n’était pas conforme encore à l’idéal nouveau, que ce n’était qu’une œuvre de transition. Ne soyons pas de ces prophètes qui prétendent imposer un idéal, surtout leur idéal, à l’avenir. Laissons, s’il vous plaît, l’avenir, et jouissons du présent lorsqu’il veut bien, comme aujourd’hui, nous sourire.

On vous a conté mille fois la légende du roi d’Ys. M. Laminais l’a mise en peinture, M. Renan en prose, M. Edouard Blau en vers, et parfois en jolis ou beaux vers. On en citerait plus d’un au cours de ce poétique et dramatique livret. La douce Rozenn et la farouche Margared, les deux filles du roi d’Ys, aiment le jeune guerrier Mylio. Leur rivalité fait toute la pièce. Margared, qui croit Mylio mort à la guerre, est sur le point de se laisser marier au roi Karnak ; sa main sera le gage de la paix entre les deux nations. Mais elle apprend de Rozenn le retour de Mylio. Aussitôt elle refuse l’hymen de Karnak, et la guerre de recommencer. Mylio défait les ennemis ; c’est Rozenn seule qu’il aime, et c’est elle qu’il épouse. Margared, folle de douleur et de