Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/925

Cette page a été validée par deux contributeurs.

trèfle des Alpes, la gentiane ponctuée, et bien d’autres que je passe sous silence.

Au-dessus de la plaine, du côté de l’est, s’élève la montagne du Crin, que je m’empresse de gravir. Ici, nouveau monde et nouvelles richesses. Les parties rocailleuses recèlent toute une série de charmantes petites plantes, gracieuse miniature des herbes folles des Hautes-Alpes. L’arénaire retournée, l’arénaire à grandes fleurs, la kélérie du Valais, la fétuque violette, la luzule jaune, l’alsine de Villars, éveillent tout mon intérêt, et, sans me lasser, je vais des unes aux autres.

La nuit s’approchait et m’invitait forcément à la retraite. Rentré à l’hospice, je rencontre, à ma grande surprise, un aimable vieillard qui m’avait précédé dans la salle à manger, le général Muletti, dont j’avais fait la connaissance à Turin, chez M. Bonafous. Membre de la commission topographique du ministère de la guerre, chargée de dresser la carte des Alpes, le général avait vécu de longues années dans les montagnes ; il en connaissait mieux que personne toutes les sommités. Il venait passer quelques jours de repos au Mont-Cenis, dans l’intérêt de sa santé. S’intéressant à toutes mes recherches, il me fournit des indications précieuses et fut pour moi, dans ce moment, l’occasion d’une bonne fortune.

Dans la matinée du 17 juillet, le général voulut bien me servir de guide dans une course à la Grand’Croix, point par lequel j’avais pénétré dans la plaine du Mont-Cenis et qu’il connaissait parfaitement. Nous prîmes plaisir à scruter les rochers du voisinage, et c’est avec toute la vivacité d’une première jeunesse que le bon général me faisait reconnaître les raretés qui s’offraient sous nos pas. Je vois encore tout son bonheur en mettant le premier la main sur le saponaria lutea, espèce des plus rares qu’il avait vue jadis dans la vallée de Cogne et qu’il s’empressa de me recommander. Vinrent en même temps anémone Halleri, potentilla multifida, astragalus aristatus, avena versicolor, toutes plantes qui lui étaient familières et qui piquaient son intérêt. C’étaient pour lui autant de vieilles connaissances qu’il retrouvait avec plaisir. En somme, matinée charmante et bien employée, grâce à la vieille expérience de mon excellent guide.

Dans l’après-midi, nous prîmes pour objectif la vallée du Petit-Mont-Cenis, qui s’ouvre sur la rive méridionale du lac. Première station à Savalin, à l’entrée d’une gorge donnant passage à un petit cours d’eau qui se jette dans le lac : c’est la localité classique du cortusa Matthioli, qu’on croit avoir été transportée en cet endroit par les botanistes italiens du val de Tignes, où elle croît en abondance. Cette belle primulacée était en pleine floraison et nous per-