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l’avantage que trouveraient le prêteur et l’emprunteur à le stipuler payable à Londres, à date fixe, à un cours fixe correspondant à la valeur de la livre sterling, et de l’immense profit qu’en retirerait le marché anglais devenant ainsi le régulateur suprême du cours des valeurs, l’arbitre du crédit européen. Sa haute position à Londres faisait de lui l’intermédiaire indiqué de ces émissions nouvelles, et s’il mit à haut prix ses services, son nom seul assurait le succès. Il fit même plus, et à diverses reprises il avança aux gouvernemens les sommes nécessaires au paiement des intérêts échus, alors que des circonstances imprévues ou des retards dans la transmission des fonds pouvaient compromettre les cours en ébranlant la confiance des porteurs de titres.

C’est ainsi que de 1818 à 1832 il négocia, pour le compte de la Prusse, un emprunt de 212 millions de francs ; pour la Russie, 87 millions ; pour l’Autriche, 52 millions ; autant pour le royaume de Naples ; 70 millions pour le Brésil ; 50 pour la Belgique, soit au total, et à Londres seulement, sans compter les emprunts anglais, 523 millions de francs.

Depuis, nous avons vu émettre des emprunts d’une bien autre importance, auprès desquels ces chiures semblent peu de chose ; mais, à cette époque, on n’en était pas encore à demander des milliards, et les gouvernemens, plus timides, allouaient des commissions relativement plus élevées. On en peut juger par ce détail qu’un seul de ces modestes emprunts laissa à Nathan un bénéfice net de 150,000 livres sterling, affecté par lui à l’achat de Gunnersbury-House, résidence seigneuriale de la princesse Amélia, tante de George III.

La prospérité de Nathan Rothschild n’était pas sans éveiller des animosités. La Banque d’Angleterre voyait avec jalousie cette puissance financière, nouvelle, dont le crédit valait le sien et avec laquelle il lui fallait compter. L’anecdote suivante, que quelques-uns ont mise en doute, mais que ceux qui ont le mieux connu l’homme tiennent pour exacte, donnera une idée des rapports entre les deux rivaux.

Estimant avoir à se plaindre des procédés de Nathan Rothschild, les directeurs de la Banque d’Angleterre refusèrent, en 1832, d’escompter une traite pour une somme considérable que son frère Anselme lui avait fait tenir de Francfort.

— La Banque, lui fut-il répondu, n’escompte que son propre papier, et non celui des particuliers.

— Des particuliers ! s’écria Nathan ; eh bien ! je leur ferai voir quels particuliers nous sommes.

Trois semaines après, il se présentait, un matin, au guichet de