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que Wellington, réduit à une poignée de soldats, ne pouvait espérer tenir tête à Napoléon Victorieux, libre désormais de disposer de toutes ses forces. Ces bruits se répandirent comme une traînée de poudre dans la cité. Les fonds baissèrent encore ; on considérait la partie comme perdue.

Pourtant quelques fous devaient tenir bon encore, car on signalait, par momens, des achats importans suivis d’accalmie. On les attribuait à des ordres venus du dehors, donnés la veille par des spéculateurs mal renseignés ; ils se produisaient quand le découragement s’accentuait, intermittens et comme au hasard.

Cette journée, puis la matinée du lendemain, s’écoulèrent ainsi. Dans l’après-midi seulement éclata la nouvelle de la victoire des alliés. Nathan lui-même, le visage radieux, la confirmait à qui voulait l’entendre. D’un bond, la Bourse remonta aux plus hauts cours. On plaignait Rothschild ; on supputait le chiffre de ses pertes ; on ignorait que, s’il avait fait vendre par ses courtiers connus, il avait fait acheter, sur une bien autre échelle, par des agens secrets, et que, loin d’être en perte, il réalisait près de 1 million de livres sterling de bénéfice.


VI

La conclusion définitive de la paix entraînait, avec un remaniement général de la carte de l’Europe, d’importantes opérations financières. Les grandes puissances sortaient terriblement obérées de cette lutte de vingt années, qui n’avait pas coûté moins de 900 millions de livres sterling (22 milliards 1/2 de francs) à l’Angleterre seule. Toutes avaient besoin d’argent, et aucune ne pouvait demander à des impôts nouveaux les sommes qui leur étaient nécessaires. Les populations, ruinées par la guerre, se trouvaient hors d’état de les payer ; puis les idées libérales avaient franchi nos frontières avec notre drapeau, et leurs conquêtes à l’étranger n’étaient pas de celles qu’anéantisse une défaite. Les peuplés avaient enfin conscience de leurs droits, et l’absolutisme, à l’heure même de son triomphe, devait compter avec eux. Les grands emprunts modernes allaient se substituer aux opérations louches auxquelles on avait eu recours antérieurement. Nathan Rothschild le comprit et fut le premier à populariser en Angleterre les emprunts étrangers.

Avant lui, quelques capitalistes hardis avaient bien avancé des fonds aux gouvernemens européens, mais ces placemens isolés et aventurés n’étaient à la portée que d’un petit nombre. L’intérêt se payait à l’étranger, à époques indéterminées, à un cours arbitraire, soumis aux fluctuations du change. Il se rendit compte de