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puissance, il se procura un canon, boucha la lumière, le remplit d’eau aux deux tiers, fit hermétiquement clore l’autre extrémité et le soumit à l’action du feu. La pièce éclata, comme de juste, faillit le tuer, mais cette expérience le fixa sur le point qui lui tenait au cœur. Il n’était pas seul, d’ailleurs, à se livrer à ces études, et tout porte à croire qu’à cette même époque, il se lia avec un nommé David Ramseye, absorbé dans des recherches analogues ; il l’associa à ses--travaux, et ne fut pas étranger à la concession du privilège que ce dernier obtint de Charles Ier et qui lui assurait le curieux monopole « d’attirer l’eau hors des puits au moyen du feu ; d’édifier des moulins mis en mouvement sans recourir au vent, à l’eau ou aux chevaux ; de construire des bateaux, chalands ou navires capables de remonter les courans et de marcher contre le vent ; d’épuiser l’eau des mines et houillères par des procédés inconnus jusqu’à ce jour. »

Grand propriétaire terrien, le marquis de Worcester possédait d’importantes mines de charbon. Dans quelques-unes, il n’employait pas moins de cinq cents chevaux pour pomper l’eau qui les envahissait ; plusieurs, et des plus riches, avaient dû être abandonnées, leur rendement ne couvrant pas les dépenses nécessitées par ce travail ; aussi s’occupa-t-il particulièrement d’actionner les pompes par la vapeur d’eau.

Ses efforts ne furent pas couronnés de succès et ses expériences absorbèrent une partie de sa grande fortune ; mais, s’il ne parvint pas à résoudre les problèmes multiples qu’il se posa, il traça la voie dans laquelle d’autres, plus heureux, s’engagèrent, il facilita leur tâche, et quelques-unes de ses inventions ingénieuses furent adoptées par eux. En choisissant, lors de son élévation au peerage, le nom de Raglan, le général en chef de l’armée anglaise en Crimée a peut-être voulu consacrer dans ce titre de lord Raglan le double souvenir du siège soutenu par le vieux château du marquis de Worcester contre les Têtes rondes, et celui de son ancêtre qui, dans la tour de ce même château, construisit la première pompe à vapeur que James Watt devait perfectionner cent trente ans plus tard.

Chose singulière, c’est dans ce pays où la féodalité n’a guère existé que de nom que subsistent les derniers vestiges d’un régime-dont la France n’a rien conservé. Cantonné dans son immense domaine, le nobleman anglais y vit sans autres proches voisins que ses tenanciers, qui sont aussi ses locataires, et qu’il garde ou renvoie à son gré. Propriétaire des villages environnans, il en exclut qui bon lui semble, a Maître de tout le sol paroissial, il en fait raser les masures et n’autorise aucune construction nouvelle. La paroisse est fermée, close ; le nettoyage, clearance, et en quelque sorte le balayage de l’ordure humaine est accompli. La campagne prend