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de tout un quartier de Londres et dont le revenu, à la fin de ses baux à long terme, dépassera 25 millions de francs à l’année.

De pareils chiffres expliquent comment l’aristocratie anglaise a pu se maintenir jusqu’à ce jour, par quelles profondes racines elle tient au sol même. Ils expliquent aussi les opulentes conditions de son existence, d’un grand seigneur anglais disant, en 1848, à un Français de ses amis, fort inquiété et un peu inquiet : « J’ai un château que je n’ai jamais vu, mais on le dit très beau. Tous les jours, on y sert un dîner de douze couverts, et la voiture est attelée devant la porte, au cas où j’arriverais. Allez-y, installez-vous, vous voyez que cela ne me coûtera pas un centime. » Ainsi organisée, la vie laisse de grands loisirs et impose de grands devoirs ; l’éducation première, l’exemple, les traditions, le sentiment religieux en ont éveillé la conscience et développé le goût ; aussi, plus et mieux que les autres aristocraties, l’aristocratie anglaise justifie-t-elle sa raison d’être par les services qu’elle rend au pays, son luxe par sa charité, ses privilèges politiques par l’usage qu’elle en fait.

Elle ne s’en tient pas là, et nous la voyons souvent, avec une ténacité toute britannique, consacrer ses loisirs et ses richesses à d’intrépides explorations géographiques, à l’étude des problèmes les plus compliqués de l’économie politique, des questions sociales, ou même de la mécanique et de la physique, comme le fît le marquis de Worcester sous le règne de Charles Ier. Descendant d’une race de soldats qui devait, de nos jours, donner à l’Angleterre un de ses meilleurs généraux, lord Raglan, il fut, par un singulier contraste, un rêveur, doux et calme, ne se passionnant que pour les recherches, absorbé dans la lecture des vieux livres et dans l’étude des langues anciennes. Un manuscrit de Héron, écrit cent vingt ans avant, l’ère chrétienne, avait vivement excité sa curiosité. Héron y décrit certains jouets des enfans égyptiens. Il y parle, entre autres, d’une figurine humaine offrant des libations aux dieux. Cette figurine, debout devant un autel, tient une coupe à la main ; elle est reliée, par un mince tuyau, à un vase rempli d’eau placé à ses pieds et dissimulé par une draperie. Une lampe allumée sous le vase fait monter l’eau qui s’épanche dans la coupe. Un autre jouet consistait en un globe de cuivre mis en rotation par un jet de vapeur ; le même moteur faisait aussi danser de petits personnages devant un autel.

Poursuivant ses recherches sur ces antiques données, il découvrit qu’en 1125, à Reims, un ouvrier ingénieux avait réussi à mettre en mouvement les soufflets de l’orgue de la cathédrale à l’aide de la vapeur, et qu’un autre était parvenu à l’utiliser pour faire tourner la broche de son rôti. Préoccupé de cette force dont les vieux manuscrits lui révélaient l’existence, mais dont il ignorait la