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l’expérience, le talent et la fortune, dans l’aristocratie, le commerce, l’agriculture ou l’industrie. Le parlement anglais, dont les membres ne reçoivent d’ailleurs aucune indemnité législative, résume en lui toutes les illustrations, tous les grands intérêts, toutes les forces vives du pays. C’est ainsi que le gouvernement appartient à une élite ouverte, se renouvelant par la sélection naturelle des capacités en tout genre. Le régime parlementaire pur ne satisfait qu’aux conditions d’une société reposant sur les traditions et la hiérarchie.

Dans le congrès fédéral des États-Unis, le sénat offre assurément des garanties de sagesse politique et possède une valeur incontestée. Quant à la chambre des représentans, les Américains lui reprochent d’être précisément le contraire d’une élite, et de n’atteindre même pas le niveau moyen du peuple qu’elle prétend représenter. Les diverses législatures locales sont plus décriées encore. Plusieurs états particuliers ont pris des mesures exceptionnelles pour se préserver de leur influence réputée funeste. C’est le résultat inévitable d’un système fondé sur la méfiance habituelle envers les supériorités reconnues, sur la rotation constante des fonctions publiques et la fréquence excessive des élections appliquées à tout. L’indépendance et la dignité du mandataire sont gravement compromises par les préoccupations électorales les plus mesquines, qui engendrent bientôt la corruption sous tous les aspects. De telles assemblées ne peuvent supporter qu’une forme inférieure de parlementarisme restreint. Le gouvernement de la nation ne saurait leur être totalement abandonné sans péril.

Si la responsabilité ministérielle était introduite dans la constitution américaine, à quoi se réduirait le rôle d’un président temporaire, élu pour quatre années seulement ? Le congrès absorberait le pouvoir exécutif par sa pression incessante sur les ministres, et attirerait tout à lui. Sa domination exclusive et jalouse amènerait vite le désordre et la confusion, à moins que, parmi les médiocrités parlementaires, ne surgît un maître, asservissant la majorité, et par elle les chambres et le pays. Il n’y aurait pas de milieu entre l’impuissance gouvernementale et le despotisme collectif d’une Convention, soumise au despotisme personnel d’un de ses membres.

En Angleterre, le pouvoir exécutif appartient bien au cabinet, qui dépend lui-même du parlement. Mais, de plus, reste la royauté. Le terme d’exécutif, employé d’ordinaire pour la qualifier, semble erroné dans l’espèce, et au-dessus ou au-dessous d’elle. En fait d’attributions positives, le monarque constitutionnel est très dénué. Par l’influence morale et les services éminens rendus à l’ordre social et politique, il remplit une mission autrement importante