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congrès, cette recommandation pacifique remplissait quatre pages entières. Invité à les examiner, le sénateur Benton les désapprouva, et, sur la prière de Polk, en rédigea quatre autres qui exprimaient des vues toutes contraires. La rédaction nouvelle, agréée par le président, fut communiquée immédiatement aux ministres. Mais le projet primitif était en cours d’exécution ; le secrétaire de la guerre avait refusé comme inutiles les corps de volontaires proposés par différens gouverneurs d’états. Aussi le cabinet, invoquant le fait accompli, persistait-il dans son opposition. Plusieurs conférences eurent lieu sans résultat. Enfin, le président passa outre, et donna l’ordre d’appeler aussitôt les dix régimens d’abord refusés[1].

D’autre part, l’adhésion même unanime du ministère ne pèse d’aucun poids dans la balance pour atténuer la responsabilité présidentielle. Lorsque Johnson lut décrété d’impeachment, ses défenseurs offrirent de citer comme témoins à décharge les membres du cabinet. L’accusé n’affichait nullement l’intention de s’abriter derrière eux. Il prétendait exciper de sa bonne foi, et prouver que le recours à tous les conseils possibles avait précédé l’acte incriminé. En effet, tous les ministres consultés sur la destitution qui faisait le fond du procès, et le ministre destitué lui aussi, s’étaient trouvés d’accord pour la déclarer constitutionnelle. Le sénat, érigé en tribunal, ne consentit pas à entendre les témoignages ministériels, même à titre d’éclaircissemens. Il n’admit aucune intervention capable de prêter à un cabinet collectif le moindre semblant d’existence officielle et de responsabilité gouvernementale. La constitution ne reconnaît qu’un seul dépositaire de la puissance exécutive ; les sénateurs ne voulurent avoir affaire qu’à lui.

D’après la défense, c’était un parti-pris de refuser la lumière, un véritable déni de justice. Peut-être entrait-il quelque passion politique dans les motifs qui guidèrent alors la haute assemblée. Mais sa décision, très discutable au point de vue juridique, paraît inattaquable en droit constitutionnel. La doctrine des États-Unis veut que le ministère soit placé sous la dépendance unique et immédiate du président. Celui-ci, toujours indépendant des ministres, reste maître de leur dicter ses volontés et doit en répondre seul.

Le cabinet présidentiel américain est tout l’opposé du cabinet parlementaire anglais. Les ministres britanniques étant choisis parmi les membres des assemblées et désignés, sinon imposés au souverain par la majorité représentative, le cabinet, nul ne l’ignore, est une sorte de comité d’action des chambres, qui gouverne sous leur contrôle direct. Le devoir l’oblige à rendre chaque

  1. Benton, Thirty years’ View, t. II, p. 693.