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dépens qu’un chef d’état républicain devient criminel aux yeux de ses partisans pour vouloir protéger la moitié du pays contre l’autre. Les chambres l’attaquèrent à coups de lois, dès la première heure, et finirent par le décréter d’accusation, au risque de rallumer les discordes civiles mal éteintes. Sans la clause tutélaire d’après laquelle le verdict de condamnation dans les procès d’impeachment doit réunir les deux tiers des voix, Johnson était destitué. Le pouvoir présidentiel porte encore aujourd’hui la trace des blessures alors reçues ; le tenure act de 1867, qui restreignait notablement ses prérogatives, n’a pas été rapporté.

Ce rôle de l’exécutif inféodé à un seul parti ne répond guère aux données du libéralisme. Les Américains pouvaient-ils trouver une combinaison moins défectueuse ? Le gouvernement populaire est tenu de remplir les mêmes devoirs de préservation que les autres, et de s’acquitter des mêmes fonctions générales, comme le fait observer justement M. Sumner Maine. Aucun régime ne possède le privilège de concilier l’ordre avec la liberté par le seul ascendant de la raison pure et des grands principes. Il faut toujours une certaine force matérielle en aide aux forces morales pour Assurer le respect des lois et garantir les droits de chacun contre tous.

Mais le régime démocratique présente à cet égard des conditions spéciales d’infériorité. Uniquement bâtie sur le terrain mouvant de l’élection et du suffrage universels, la république n’est qu’un minimum de gouvernement, dont le fragile équilibre dépend du moindre incident, d’un vote gagné ou perdu. Elle ne peut manquer, suivant ses tendances naturelles, de relâcher à l’excès les liens indispensables de l’organisation politique et sociale, si quelque autorité vigoureuse ne réagit pas, au risque de dépasser la mesure. C’est alors la liberté qui périclite. De sorte que les démocraties républicaines, perpétuellement ballottées de l’anarchie au despotisme conventionnel ou césarien, paraissent incapables de se reposer longtemps à l’abri d’un pouvoir assez sûr du lendemain pour être à la fois libéral et conservateur.

Les États-Unis, sans voisinage inquiétant, sont affranchis des principaux dangers, dont la menace constante impose aux nations européennes la nécessité d’un gouvernement énergique et centralisé. Ils peuvent ainsi, dans les circonstances ordinaires, s’accommoder plus aisément de la faiblesse du système républicain. Malgré cet avantage et bien d’autres, les institutions officielles ne fournissent pas les élémens de force et de cohésion suffisans pour gouverner. Il a fallu y suppléer, tant bien que mal, par la discipline rigide des partis, qui exige les plus pénibles sacrifices du libre arbitre