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impartial, attribué à la personne royale en Angleterre. Modérer de haut tous les partis, sans autre préoccupation que de faire prévaloir l’intérêt national, forcer les minorités à l’obéissance et les protéger au besoin contre l’usurpation des majorités, de façon qu’il n’y eût jamais ni vainqueurs ni vaincus, tel apparaissait justement aux conventionnels de Philadelphie l’inappréciable avantage de la monarchie héréditaire. L’illusion était d’attendre les mêmes services du pouvoir exécutif républicain dans les conditions fâcheuses, mais inévitables, où celui-ci se trouve placé.

Un président élu ne saurait être que le chef du parti vainqueur ; ce poste de combat l’oblige à peser fortement sur le parti battu, et parfois sur la moitié presque de la nation. Les liens politiques ne suffisent pas à maintenir compactes et disciplinées en vue d’efforts communs les grandes masses de votans indécis. Il faut surtout l’attache puissante des intérêts. Aussi l’élection n’est-elle qu’un contrat tacite. Le président, une fois nommé, doit payer sa dette électorale, fût-ce au détriment du pays, par la distribution des emplois lucratifs à ses partisans, dignes ou indignes, capables ou non, clientèle impérieuse qui lui a donné la présidence pour obtenir en échange le monopole du patronage présidentiel. Ce n’est pas seulement le gouvernement de parti sous sa forme la plus étroite ; c’est, à vrai dire, le gouvernement de parti par la corruption.

Comme auteur responsable du système, l’histoire désigne d’ordinaire André Jackson. A peine, en effet, venait-il d’être élu, que ses intentions s’annonçaient sans équivoque dans un journal officieux, le Télégraphe : « Nous ignorons quelle ligne politique adoptera le nouveau président, mais nous pouvons affirmer qu’il saura bien récompenser ses amis et punir ses adversaires. » Bientôt après commença la curée des places. « To the victors belong the spoils, aux vainqueurs appartiennent les dépouilles ! » Ce mot fameux, prononcé en plein sénat par Marcy, devint désormais le Credo des politiciens, l’alpha et l’oméga du gouvernement.

Certes, Jackson appliqua brutalement le programme que Marcy résumait dans sa devise alléchante. Mais, en bonne justice, ni l’un ni l’autre ne doivent supporter seuls la responsabilité d’une méthode gouvernementale qui répond aux tendances naturelles de la démocratie républicaine et semble partout en être la conséquence forcée.

Dès l’origine de la république, Washington voyait avec douleur le gouvernement de parti s’organiser de toutes pièces au lieu et place du gouvernement national. Les symptômes de corruption ne tardèrent pas à se montrer. John Quincy Adams comparait sans façon la bande éhontée des solliciteurs, sous la première administration