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vestige d’ancien régime, ne cessa de grandir dans l’opinion populaire. Quarante ans après la fondation définitive de la république, les constituans sont de beaucoup dépassés. Jackson, appelé au pouvoir, ne craint pas d’affirmer que « le président est le représentant direct du peuple, choisi par lui, et responsable envers lui seul. »

C’était la contre-partie textuelle des paroles de Roger Sherman à Philadelphie, et le désaveu radical des principes du parti républicain[1], que personnifiait pourtant le nouveau titulaire de la présidence. Il exagère même abusivement à son profit certaines théories des fédéralistes, ses adversaires, sur « la nécessité d’interpréter largement les constitutions, pour atteindre les grandes fins de tout gouvernement, qui sont le salut et l’indépendance du peuple. » L’élasticité constitutionnelle devient un système, dont Jackson a bientôt trouvé la formule : « Le président, par le serment consacré, s’engage à défendre la constitution comme il la comprend, et non comme la comprennent les autres. » Autant dire que l’appréciation individuelle du chef de l’état primait le droit public de l’Union. En effet, objectait Webster, « ou bien la loi n’existe pas, ou elle doit être obéie, non pas telle qu’elle peut être comprise, mais telle qu’elle est. »

Jamais, certes, Hamilton et ses amis, si préoccupés qu’ils fussent de rehausser l’exécutif, n’avaient voulu l’élever à une situation quasi césarienne. Jackson eut cette audace, et sa popularité ne fit que s’accroître. Son interprétation constitutionnelle lui rallia les suffrages des masses, toujours prêtes à s’incliner devant un maître, pour peu qu’il prétende régner en leur nom et contraigne toutes les têtes à se courber sous le même niveau.

Les débris du vieux parti fédéraliste, accusé jadis d’aristocratie « t de royalisme, se trouvèrent alors presque seuls à lutter contre l’abus des doctrines autoritaires qui menaient droit au gouvernement personnel. Story écrivait tristement : « Quoique nous vivions sous un régime de forme républicaine, je ne puis me dissimuler que nous subissons en réalité le pouvoir absolu d’un homme. »

Van Buren, désigné au choix populaire par Jackson même, et son successeur immédiat, pour ne pas dire son héritier, fut aussi l’un des docteurs de l’école nouvelle. Selon lui, le président est le défenseur par excellence et le gardien attitré de la constitution américaine. « Seul, en effet, il prête un serment tout spécial, dans lequel la formule ordinaire est complétée par ces mots caractéristiques : Je jure que je conserverai, protégerai et défendrai de mon mieux la constitution des États-Unis. »

  1. Appelé depuis et actuellement encore le parti démocrate.