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maintes fois contrairement aux votes de la majorité du congrès. Pratiquement, il n’est responsable que devant la nation seule. Encore sa responsabilité se réduit-elle à cette unique sanction : être ou n’être pas réélu à la fin du premier terme quadriennal. Jusqu’à l’expiration légale de son mandat, il est donc en définitive indépendant du peuple même. Celui-ci n’a pas d’autre garantie que les promesses, toujours vagues et trop faciles à éluder, du programme ou platform signé par le candidat, véritable contrat léonin dont l’effet réel est moins de lier l’élu que de paralyser pour quatre ans la volonté des électeurs.

M. Gladstone se fait une si haute idée de la présidence, qu’il la trouve comparable au maître organe du système britannique, à la chambre élective elle-même, la plus puissante dans le parlement tout-puissant. « Les Américains, dit l’illustre homme d’état, abandonnent le pouvoir à leur président pendant quatre années aussi complètement que nous l’abandonnons pour un certain temps à notre chambre des communes. » Ce rapprochement inattendu n’est pas un pur paradoxe. L’irresponsabilité semble égale de part et d’autre. Quant aux attributions du président, leur importance suffit en tout cas à caractériser, suivant M. Bagehot, une forme particulière de gouvernement, « la république présidentielle, » par opposition aux républiques parlementaires.

Pour bien apprécier la valeur de l’exécutif américain, il faudrait étudier avec quelque détail, non-seulement les actes de chaque président des États-Unis, mais encore le rôle considérable que jouent dans chacun des états particuliers de l’Union les gouverneurs élus, sortes de présidens au petit pied. Ce serait un travail intéressant, mais infini, qui comprendrait toute l’histoire nationale et locale de l’Amérique. Une étude rapide et forcément incomplète permet seulement de montrer quelle place éminente tient l’exécutif dans cette immense démocratie fédérative, qu’il a jusqu’ici préservée de la dislocation et de l’anarchie.

A l’origine, deux opinions tranchées divisèrent la Convention de 1787. La minorité, imbue des doctrines familières aux réformateurs d’Europe, affirmait nettement la suprématie du pouvoir législatif, et prétendait l’établir. Roger Sherman, entre autres, soutenait que le congrès, étant l’unique dépositaire de la souveraineté nationale, possédait le droit absolu de façonner à sa guise l’instrument de ses volontés. En conséquence, la magistrature exécutive devait être organisée par le congrès même et responsable envers lui seul.

La majorité des constituons tenait par-dessus tout à éviter l’omnipotence parlementaire. Au lieu d’admettre que le président fût l’agent révocable des assemblées, elle voulait le rendre aussi