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Depuis le siècle dernier, la plupart des nations civilisées ont fait campagne contre le pouvoir exécutif, jusqu’alors aux mains des aristocraties et des rois. Renverser les exécutifs monarchiques était assez facile ; les remplacer l’était moins. On commence à s’en rendre compte. La victoire de la démocratie est à peine constatée, et déjà les mêmes nations, par raison ou par instinct, sont à la recherche des moyens de fortifier leur exécutif, devenu si débile, que L’organe politique et social indispensable, le gouvernement, a perdu presque toute efficacité. Il n’existe plus guère que nominalement, sous forme de situation lucrative pour ceux qui en prennent le titre sans en exercer les fonctions directrices.

Tombé en d’inhabiles mains, le système parlementaire a trompé nos espérances. L’agitation stérile et l’omnipotence irresponsable des assemblées démocratiques déconcertent les meilleurs esprits. Quoique les États-Unis n’échappent pas à ces mécomptes, cent ans d’épreuve relativement heureuse appellent l’attention sur les combinaisons imaginées par les Américains pour établir un gouvernement capable d’atténuer les abus et les périls du parlementarisme républicain. C’est en ce point que leur république reste vraiment originale et diffère le plus de celles d’Europe.


I

D’après la définition consacrée, le pouvoir législatif fait les lois ; le pouvoir exécutif en assure purement et simplement l’exécution. Cette étroite formule ne saurait s’appliquer à l’Amérique. Le titulaire des fonctions exécutives est naturellement chargé, là comme ailleurs, de donner plein effet aux lois votées par les chambres. Mais les républicains du Nouveau-Monde n’ont pas voulu que leur premier magistrat fût l’agent passif ou subalterne d’une puissance prédominante, « le constable du congrès, » selon le mot dédaigneux de M. Boutwell. Sa mission a beaucoup plus d’importance et de grandeur.

Étant l’élu du peuple entier, le président des États-Unis ne dépend pas des assemblées par son origine. Affranchi de la tutelle d’un cabinet parlementaire, il conserve une part d’initiative. Investi du droit de veto, il intervient dans l’adoption des lois et peut repousser toutes celles qu’il désapprouve. Sauf la mise en accusation par impeachment, ressource extrême et presque illusoire, le congrès ne possède aucun moyen régulier de porter atteinte à l’indépendance de l’exécutif. Au contraire, l’arme légale du veto présidentiel, beaucoup plus maniable que l’impeachment parlementaire, et d’un usage habituel, permet au président de combattre la