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avaient de soldats à vendre. Les coureurs d’aventures venaient acheter là du courage contre n’importe qui, pour n’importe quelle cause, et le prix baissait ou s’élevait selon que l’offre était plus grande ou plus petite que la demande. La guerre est toujours un fléau; mais, dans ces conditions, elle était de plus une honte.

II résultait de là deux autres conséquences fâcheuses : la première, c’est la facilité du peuple à concevoir des soupçons sur des généraux qui avaient trop d’amis au dehors pour servir, en ne voulant d’autre alternative que le succès ou la mort ; la seconde, c’est la séparation, mauvaise en un petit état, de la tête qui conçoit et de la main qui exécute. Les grands hommes d’Athènes de l’âge précédent étaient tous, et tour à tour, orateurs et généraux. Phocion, au dire de Plutarque, fut le dernier qui abordât aussi résolument la tribune que le champ de bataille. De là l’influence d’hommes qui, n’ayant pas été mêlés de près aux affaires, souvent les compromettaient pour une période bien cadencée et un applaudissement des gens du Pnyx. Iphicrate, accusé, ne sut se défendre qu’en montrant son épée et les poignards des jeunes gens qu’il avait répandus dans l’auditoire.

Il y a une force capable de réparer bien des fautes, l’amour du pays. Les Grecs avaient deux patries, leur ville d’abord, ensuite l’Hellade. Mais le patriotisme, qui fléchissait dans l’intérieur des cités, ne se relevait pas dans la nation. L’union fraternelle des tribus grecques avait toujours été bien faible, même aux plus beaux jours; alors du moins la haine pour l’étranger était vigoureuse, et beaucoup, au besoin, s’unissaient contre lui. Quand Mardonius offrait aux Athéniens les riches présens de son maître, ils repoussaient l’amitié du barbare, comme ils avaient repoussé ses armes. Un siècle s’écoule, tout change. Sparte, Thèbes, Athènes elle-même, courtisent le grand roi, reçoivent son or, obéissent à ses ordres. A force de s’envier, de se haïr et de guerroyer les unes contre les autres, les cités grecques en sont venues à préférer l’étranger au compatriote. Ce sont les Perses qu’aujourd’hui tel peuple appelle; demain il cherchera ses alliés autre part ; mais désormais l’étranger aura toujours la main dans les affaires de la Grèce. Au bout de ces habitudes, de ces querelles, de cet affaissement moral, il y avait certainement un maître.

Remarquez que la guerre n’est pas seulement entre les villes, mais entre les factions de chaque cité. Partout se trouvent deux partis dont chacun n’aspire qu’à vaincre, chasser ou exterminer l’autre, et, pour y réussir, recourt à tous les moyens. En quatre-vingts ans, on compta onze révolutions chez les Chiotes. C’était pourtant un des peuples les plus sages de la Grèce. Plutarque rapporte