Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/79

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

travaille et dont elle meurt ; quel est-il ? l’amour de l’or. On convoite jusqu’au salaire du traître; on sourit à l’aveu de son crime; le pardon est pour le coupable, la haine pour l’accusateur; en un mot, c’est la corruption même et toutes ses bassesses. Athéniens, vous êtes riches en vaisseaux, en soldats, en revenus, en ressources pour la guerre, en tout ce qui fait la force d’un état; plus riches poème que jamais. Mais toute cette force languit impuissante, inutile. Athéniens, tout meurt chez vous, parce que chez vous on trafique de tout.

« Tel est notre état, vous le voyez de vos yeux, sans nul besoin de mon témoignage. Quelle différence avec le passé ! Ici ce n’est plus moi qui par le : je rappelle une inscription gravée par vos pères, sur l’airain, dans l’Acropole ; gravée, non pour eux-mêmes, non pour s’encourager à la vertu, ces grandes âmes n’en avaient pas besoin, mais pour vous rappeler par un monument impérissable à quel point il faut veiller sur les traîtres. Que dit donc l’inscription? Le voici : « Arthmios, fils de Pythonax de Zélie, est déclaré infâme, ennemi du peuple athénien et de ses alliés, lui et sa race;» puis vient la cause du châtiment : « Pour avoir apporté l’or des Mèdes dans le Péloponnèse. »

Isocrate, dans le discours aréopagitique, pense comme Démosthène : « A Athènes, la vénalité dans les charges, dans les jugemens corrompt tout. » Montesquieu a fait de la vertu civique le principe de la démocratie. Elle est bonne partout, mais elle est indispensable à une république ; car si l’on n’y connaît plus le désintéressement et l’esprit de sacrifice, tout se perd. C’est par là que la plus glorieuse des cités antiques et la Grèce tout entière ont péri.

Le commerce et l’industrie, en se développant, avaient augmenté l’inégalité des fortunes; les habiles étaient arrivés à la richesse, ceux qui ne l’étaient pas étaient restés dans la paresse et la misère, avec l’envie au cœur et bien des complaisances pour les sophistes du pnyx ou les délateurs de l’agora. Ce n’était point parmi la foule désœuvrée et criarde du Pyrée qu’Antisthène trouvait des recrues pour sa philosophie cynique et à certains égards élevée ; mais les amendes, les confiscations faisaient des pauvres qui n’avaient pas tous la sagesse du Charmide de Xénophon : « Auparavant, dit-il, quand j’étais riche, je craignais toujours qu’on ne forçât ma porte pour m’enlever mon argent, et je faisais ma cour aux sycophantes. C’était, chaque jour, un nouvel impôt, et jamais la liberté de quitter la ville pour un voyage. Maintenant que j’ai tout perdu et qu’on a vendu jusqu’à mes meubles à l’encan, je ne suis plus menacé et je dors tranquille. Au lieu de payer le tribut, je le reçois : la république me nourrit. » Mais si Charmide ne se plaint pas d’être déchargé de ses biens, il se réjouit d’être délivré de ses devoirs.