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de l’État, ceux qui ont toujours trahi la France, agens publics du roi catholique, vivant des subsides de Bruxelles, allant y chercher le mot d’ordre, Mme de Chevreuse, Laigues[1]. Les intrigans, les conspirateurs de profession, tous ceux qui avaient échappé à la hache de Richelieu ou survécu à l’exil, depuis les plus grands, Gaston, les Vendôme, les dames, jusqu’aux plus infimes, Montrésor, La Boulaye, tous sont en action, dirigés par le ministre et le coadjuteur, préparent le terrain, procurent les consentemens nécessaires, achètent ici le silence, là le concours. Les hommes de gouvernement, les simples serviteurs de l’État, ceux qui font les affaires sans être inféodés, soit à Retz, soit à Mazarin, restent en dehors ou n’interviennent que pour copier et transmettre des lettres.

Soutenu, poussé par la bande qui voulait mettre la France au pillage, Mazarin a-t-il le droit de dire que le trône était en péril et que l’arrestation des princes sauva la couronne ? Les complots imaginaires servent d’excuse à toutes les violences et aux mauvaises actions ; il faut frapper, dit-on, pour prévenir les coups de l’adversaire, — et souvent il ne s’agit que d’un adversaire supposé. — Rien ne prouve que Condé ait songé sérieusement à un changement de ministère, ce qui déjà n’était pas le renversement du trône. Quoique Chavigny eût du mérite, de l’ambition et de l’intrigue, ses menées, ses conférences avec le duc de Saint-Simon n’avaient rien de bien redoutable, et ne causèrent guère de soucis à l’ombrageux cardinal.

Condé avait le plus impardonnable des torts : il avait rendu trop de services ; il « gênait, » et, reconnaissons-le, il ne faisait rien pour atténuer cette gêne ou calmer ce déplaisir. Sa prison devait pacifier le royaume, rétablir l’armée, donner la paix extérieure. Elle a rallumé la guerre civile, rejeté Turenne dans la défection, ouvert la France à l’étranger, retardé la paix pour dix ans. Le parlement, déjà bien effacé, va se déshonorer par ses faiblesses comme par ses variations.

M. le Prince avait le droit de dire : « Je suis entré en prison innocent. » Hélas ! il n’avait que trop raison d’ajouter : « J’en suis sorti le plus coupable des hommes[2]. »


Je continue ce livre comme je l’ai commencé, aux mêmes lieux, dans la disgrâce et sous le poids d’un exil que je crois immérité.

  1. Nous donnerons ailleurs plus de détails puisés aux précieuses archives de Belgique.
  2. Paroles du grand Condé.