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violences comme des faiblesses coupables. C’est l’argument qui a séduit bien des âmes honnêtes, entraîné plus d’un gouvernement à sa perte ; c’est le manteau qui recouvre toutes les ambitions, les grandes comme les médiocres, le masque sous lequel se cachent la cupidité, la soif des honneurs. Combien peut-on compter d’actes honnêtes, vraiment courageux, profitables aux peuples, qui aient été inspirés par la raison d’état ?

Mazarin faisait sonner très haut les faveurs que Condé aurait payées d’ingratitude : le commandement des principales armées, l’appui, les secours d’hommes et d’argent constamment prodigués. Rien de moins solide. C’est le feu roi qui avait mis le duc d’Anguien à la tête de l’armée Victorieuse à Rocroy. En 1644 comme en 1645, le gouvernement de la Régente n’avait confié à Louis de Bourbon que des armées de second ordre ; ce sont les événemens qui, deux fois, ont appelé Anguien au-delà du Rhin, lorsqu’il eut l’honneur de déloger Mercy devant Fribourg et de le battre à Norlingue. L’année suivante, il est mis sous les ordres du duc d’Orléans ; le départ de ce prince lui vaut la conquête de Dunkerque. Le gouvernement de Catalogne était fort peu enviable ; beaucoup pensèrent que cette mission cachait un piège. Condé fut envoyé en Flandre en 1648, lorsque personne ne voulait prendre la succession de Gassion. Il y fut peu soutenu ; à ses avis on préféra toujours les suggestions de Rantzau. Mazarin laissa dire que M. le Prince était responsable de la perte de Furnes et de Courtrai, sachant le contraire ; le lendemain de la victoire de Lens, il dissimule un premier élan de joie pour exprimer le regret qu’on eût laissé échapper l’archiduc.

Le Clermontois ! Au dire des contemporains, ce don fut fait à Condé pour le brouiller sans retour avec M. de Lorraine. L’amirauté ! Si cette querelle se ranima, c’est que le cardinal rompit le traité ; M. le Prince fit revivre ses prétentions, quand le ministre accepta celle des Vendôme et reprit cette grande charge à la Reine pour la donner comme cadeau de noces au duc de Mercœur, le fiancé de Laure Mancini. Au début de la régence, Condé avait sauvé le pouvoir de Mazarin par ses victoires, et en 1649 il « servit le Roi avec une fermeté désintéressée[1] : » l’armée d’Allemagne soldée et retenue dans la fidélité, Turenne ramené au devoir, Paris posant les armes, le Roi rentrant dans sa capitale, voilà l’œuvre de M. le Prince.

Pendant le cours de cette même année, Mazarin ne cesse de le desservir, et, pour mieux assurer sa ruine, enrôle les pires ennemis

  1. Motteville.