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séparé de son frère et de sa sœur. Lorsque Conti se présenta à la cour avec Marsillac, ce fat pour négocier l’avance des frondeurs avec Mazarin. Puis il y eut un premier rapprochement : Mme de Longueville reparut à Chantilly ; les événemens ne tarderont pas à réunir complètement tous les membres de la famille, ce qui redoublera l’anxiété du cardinal, surexcitera sa jalousie, précipitera le dénoûment.

Le rôle des femmes dans les intrigues de la Fronde a été assez souvent étudié ; on sait quelle place y tiennent les fantaisies amoureuses, et comment les meneurs ont su mettre en œuvre les caprices, les rancunes, les calculs de celles qui changent volontiers de galans, voire le dévoûment des âmes généreuses qui rachètent leur faute par la constance et l’abnégation, enfin les querelles et les compétitions à propos de mariage. Mères, amis, oncles, tuteurs se disputent les héritières, les grands noms ; d’autres s’acharnent à rompre les alliances qui serviront la fortune de leurs adversaires, et ces rivalités multiplient la confusion. M. de Longueville veut marier sa fille[1], Mazarin ses nièces, Retz sa maîtresse[2] ; Condé cherche à établir ses amis et la sœur de cette Marthe que son cœur a suivie dans le cloître. « Mademoiselle, » la plus grande dame et le plus riche parti de France, est en quête pour son compte, sans se soucier ni des différences d’âge[3], ni de la guerre, ni des luttes politiques ; rêvant d’épouser les premiers souverains d’Europe, l’Empereur, le roi de France ; prête à se contenter des princes sans états, Charles II d’Angleterre, M. de Lorraine, qui n’a encore que trois femmes ; ou à descendre jusqu’au héros, pourvu qu’il soit de sang royal. Mme la Princesse tombe-t-elle malade, Anne-Marie-Louise d’Orléans s’éprend aussitôt de l’homme qu’elle détestait par-dessus tout, disent ses mémoires ; elle semble toute surprise que la fièvre n’ait pas fait disparaître l’obstacle qui la séparait de Condé et que la mort ait épargné Clémence de Maillé. On ne saurait dire jusqu’où cette princesse, qui devait finir par tomber dans les bras du cadet Lauzun, poussait alors la naïveté de son immense orgueil, ne comprenant rien à l’indifférence que rencontrent ses rêves, à la froideur de son propre père. Elle aura une heure de pouvoir ; mais, en ce jour, elle s’agite à peu près seule dans l’empyrée où elle plane, et les affaires de ce monde ne se ressentent guère des projets qui traversent son cerveau.

  1. Fille du premier lit, celle qui deviendra duchesse de Nemours.
  2. Au moins celle que le coadjuteur affichait alors, Mlle de Chevreuse.
  3. En 1649, la fille de Gaston avait vingt-deux ans, Louis XIV onze, et Charles II dix-neuf.