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même, les siens recevaient de larges compensations ; deux fois on avait fait grâce au duc de Bouillon. — li était Français, général d’armée, comblé de faveurs, et il essayait d’entraîner dans sa défection les troupes dont l’entrée aux Pays-Bas pouvait donner la paix générale ! — Il agit avec duplicité : « Je vous donne ma parole, écrivait-il à M. le Prince, que je n’ay nul engagement contraire à la fidélité que je doibs au service du roy ny aux intérêts de la reyne[1]. » Abandonné de ses officiers et de ses soldats, le maréchal put gagner Heilbronn avec quelques gardes, hésita encore un moment, puis se retira en pays neutre, en Hollande. C’est là que vint le trouver la nouvelle de la paix de Rueil.

Quinze jours de blocus mettront Paris aux pieds du Roi, avait dit Mazarin, et déjà deux mois sont écoulés ! Avec de faibles moyens, M. le Prince est parvenu à fermer les principales issues, et s’il a mis quelque soin à éviter un massacre inutile des milices bourgeoises, il a vivement réprimé toutes les tentatives de sortie. Voici le commencement de mars ; la disette se fait sentir dans Paris : ce n’est pas la famine. Le système préconisé par le premier ministre a soulevé la capitale sans la dompter, ruiné au loin les campagnes, découvert les frontières, créé partout l’indiscipline et l’anarchie, aggravé le péril de l’État. Sans l’activité, la vigilance, le dévoûment de M. le Prince, le résultat eût été à peu près nul ; malgré son généreux sacrifice, rien de moins assuré que la fidélité des armées, et l’archiduc est en marche !

Plus irrité qu’abattu, le peuple échappait aux frondeurs, raillait leur impuissance ; l’heure des meneurs ignorés allait peut-être sonner. Le parlement humilié, honteux, se sentait sans crédit : ces magistrats, si fiers de représenter la tradition royale et nationale, avaient levé des troupes, saisi les deniers du Roi, encouragé la rébellion des généraux, provoqué la désertion des soldats, écouté les ouvertures, presque accepté l’appui de l’ennemi qui envahissait la France ! et toute la partie saine de ce grand corps s’indignait contre elle-même, méprisait son œuvre, en voyant jusqu’où elle s’était laissé entraîner. Des deux côtés on avait hâte de trouver un expédient pour sortir de ce bourbier.

La cour essaya l’effet que produirait le tabard d’un héraut d’armes ; expédient vieilli, procédé oublié, qui fit peu d’impression, mais qui fournit au parlement un prétexte pour donner des explications ; puis on renvoya à Saint-Germain les propositions que le moine de Bruxelles avait portées au Palais de Justice ; voilà donc la glace brisée ! les négociations commencent, et l’on reprend les

  1. Turenne à M. le Prince, 29 janvier. A. C.