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Conflans, couvrant le mouvement de l’infanterie qui s’approche et se prépare au combat. A la même heure, vingt mille hommes étaient passés en revue place Royale par tous les généraux de Paris, et sortaient des murs pour marcher au secours de Charenton. Ils étaient encore douze mille à Picpus ; mais quand on leur montra la ligne des escadrons royaux et qu’on leur parla de M. le Prince, tous se hâtèrent de rentrer, laissant le gouverneur, Clanleu, se tirer d’affaire avec sa bande de déserteurs. C’était un homme d’humeur sombre et chagrine, ses portraits le disent ; lieutenant-général avec de beaux services, mais disgracié à la suite de quelques malheurs de guerre, il en avait conçu un vif ressentiment. Ni lui ni ses soldats ne voulaient faire ou demander quartier, et vendirent chèrement leur vie ; ce fut le seul engagement sérieux. Le combat fut concentré dans les rues de Charenton, M. le Prince n’ayant pas voulu charger les Parisiens durant leur retraite précipitée.

L’attaque du bourg avait été confiée au duc de Châtillon, qui la mena vivement. A la dernière barricade, il tomba frappé mortellement, fut porté à Vincennes, où il expira le lendemain ; avec lui s’éteint la descendance mâle de l’illustre amiral[1]. Grande douleur, double malheur pour Condé ! il perdait le plus éprouvé de ses jeunes lieutenans, et le veuvage allait rouvrir à la plus artificieuse des femmes l’accès d’un cœur dont elle s’était déjà un moment emparée. Isabelle de Montmorency n’avait pas attendu la mort d’un époux plus passionné que fidèle[2] pour commencer une galanterie avec le duc de Nemours ; la complication en amour ne l’embarrassait pas. Un autre officier distingué et de même race, le marquis d’Orne, mestre-de-camp-lieutenant du régiment d’Anguien, succomba dans cette journée ; le frère eut la charge. Homme d’action, de valeur, d’un orgueil intraitable, Jean de Coligny-Saligny suivra longtemps la fortune de M. le Prince, qu’il quittera pour devenir un de ses plus acharnés ennemis et détracteurs.

Une fois ce groupe de déserteurs détruit, ce noyau d’armée régulière écrasé, la position perdait de son importance. M. le Prince n’ayant pas assez de troupes pour tout garder, Charenton fut évacué. Quelques convois passaient, entre autres un assez important qui venait de la Beauce et que le maréchal de Gramont ne put dissiper (10 février). C’était aussi un maréchal de France qui commandait de l’autre côté, et cette fois on s’aperçut que l’opération était conduite

  1. Un fils posthume naquit cinq mois après et mourut le 27 octobre 1657.
  2. On lui trouva au bras une jarretière de la Guerchy. Voir liv. IV, ch. VIII, le mariage de Mlle de Boutteville.