Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/737

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cause commune ; le Roi quittera la capitale avec sa maison ; Paris sera bloqué et réduit par famine.

Diverses objections sont présentées et résumées par M. le Prince : les dispositions sont mauvaises ; dans l’état des esprits, le départ du Roi sera le signal de la révolte ; le blocus durera longtemps, sans être efficace ; les frontières resteront dégarnies et menacées ; la discipline sera ruinée, tout le pays ravagé. On ne saurait s’arrêter à l’idée, sérieusement émise, que les « Parisiens ne pourront se passer pendant huit jours du pain de Gonesse. » S’il faut recourir à la rigueur, M. le Prince écarte toute opération traînante ; il n’accepte pas plus le blocus que les tentatives de répression au petit bonheur, qui n’ont pas réussi le jour des Barricades : ces compagnies des gardes errant à l’aventure dans les rues étroites, tirant au hasard, inspirant plus de colère que de crainte, et revenant en désordre, confondues dans la foule. Il voudrait des mouvemens bien combinés, méthodiques, mais avec quelque chose de brusque, de vif, qui déconcerte l’organisation de la résistance, mieux encore, qui rende la lutte impossible. Surtout que le Roi ne sorte pas de Paris ! Peut-être n’est-il pas en sûreté dans une maison ouverte comme le Palais-Royal, sans communications faciles avec l’extérieur, sans protection contre l’émeute qui peut en inonder les abords ? M. le Prince sait où loger Sa Majesté dignement et sûrement dans l’enceinte même de sa capitale.

« Paris est étrangement grand ! » disait Molière[1]. Et déjà quel est le Parisien dont le cœur ne batte en contemplant le fouillis de palais, d’églises, d’édifices accumulés par les âges sur les deux rives du fleuve, autour de cette gracieuse nef qui fut le berceau de Lutèce et qui continue de faire flotter au-dessus des tempêtes sa bannière fleurdelisée : Fluctuat nec mergitur[2] ! — Cependant, comme ce Paris de 1649 paraît resserré dans la fidèle image que nous a transmise le plan de Gomboust ! comme il ressemble peu à celui de nos jours ! Autour des quartiers où les maisons entassées forment d’énormes massifs percés de ruelles étroites, que de terrains vagues ! Jardins maraîchers, champs de blé, grands enclos de couvons, de parcs, vastes espaces sillonnés par quelques routes boueuses qu’on parcourt difficilement à cheval.

Sur la rive gauche, l’enceinte, s’appuyant à la Seine, en amont près du pont de la Tournelle, en aval à la tour de Nesle[3], enveloppait la montagne Sainte-Geneviève et le rivage en face de la Cité, laissant

  1. L’Amour médecin.
  2. Devise de la ville. (Voir son blason.)
  3. Emplacement actuel de l’Institut.