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tour, M. de Longueville voulut faire le prince du sang et débiter sa harangue ; mais le chancelier lui ayant coupé la parole, il s’en fut bouder à Rouen. Condé portait le poids de la discussion. Le difficile était de céder en sauvant les apparences, de faire abandonner les « considérans » en échange des « articles, » enfin de savoir se contenir dans le feu de l’argumentation et de mettre un frein à la verve d’un esprit incisif. On ressent la hauteur, on peut l’oublier ; la raillerie ne se pardonne pas. — « Il faut s’appliquer avec soin, dans les grandes affaires, à se défendre du goût que l’on trouve à la plaisanterie ; elle y amuse ; elle y chatouille, elle y flatte ; ce goût de la raillerie, en plus d’une occasion, a coûté cher à M. le Prince[1]. »

Ceux qui avaient la repartie prompte et la parole hardie, comme le président viole, n’étaient qu’effleurés de ces piqûres ; mais les « vieilles barbes, » les « bonnets carrés » reportaient à la grand’chambre les lazzi qui atteignaient, dans leurs personnes, le corps entier de la magistrature, et les députés du parlement, servis au fond par Condé, mais irrités de sa violence, blessés de ses railleries, sortaient de Saint-Germain outrés contre celui qui avait fait accepter leurs opinions.

La déclaration royale du 22 octobre 1648 contenait, sous une forme atténuée, à peu près tout ce que les cours souveraines réclamaient en matière d’impôt, de finances, d’enregistrement des édits. C’était un acte considérable, une manière de charte. Le parlement aurait voulu définir l’habeas corpus à peu près dans les termes posés par Hampden et que la révolution d’Angleterre consacrait à l’heure même. Il fallut transiger sur ce point, et les garanties données à la liberté individuelle furent énoncées en termes vagues, assez formels cependant pour ouvrir les portes de la prison au maréchal de La Motte-Houdancourt, enfermé depuis quatre ans, et à Chavigny, tout récemment arrêté. Blâmé de sa froideur pour cet ancien ami, M. le Prince ne s’était pas ému de ces reproches ; une sollicitation personnelle aurait été compromettante pour tous les deux : il était plus habile d’arriver au résultat par une mesure générale. Chavigny le comprit et adressa ses remercîmens au véritable auteur de sa délivrance[2].


II. — PARIS ! — PROJET DE MAZARIN. — PROPOSITION DE CONDE.

A peine la déclaration adoptée, la ratification arrachée à la Régente, la cour et M. le Prince rentrés à Paris (31 octobre), l’accord

  1. Retz.
  2. Chavigny à M. le Prince, 18 novembre 1648. A. C.