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dans son carrosse et lui donna le conseil d’accepter en principe les demandes du parlement. Cette confidence déconcerta le ministre. Avant de renoncer au plan de répression tracé dans les « carnets, » ne pouvait-on chercher un autre instrument ? D’Erlach fut mandé : la bataille de Lens lui donnait un certain prestige ; il n’avait aucun lien avec la cour ou la ville, passait pour résolu et brutal. Il fut choyé, complimenté, puis renvoyé à son gouvernement de Brisach, sans recevoir le bâton dont il se croyait assuré. C’était encore une déception. Il fallut changer les batteries, calmer la Régente, qui avait eu peine à contenir son courroux en écoutant l’avis inattendu de Condé.

Pénétrée de son devoir, se considérant comme dépositaire du pouvoir qu’elle devait remettre intact à son fils, imbue d’idées apportées d’Espagne, Anne d’Autriche n’admettait pas qu’aucune limite pût être fixée à l’autorité des rois, et ne voulait rien céder. Mazarin était d’accord avec elle. Ignorant ou méprisant les lois, il voulait disposer sans contrôle de la fortune publique, rester maître incontesté, libre de frapper ses adversaires ou ses rivaux, d’écarter tous les obstacles ; mais poursuivant son but avec la souplesse de son génie, il savait feindre un différend avec la Reine, subir des rebuffades concertées d’avance, et se donner l’air d’arracher des concessions qui ne le gênaient guère, car il était parfaitement résolu à les reprendre.

C’est ainsi qu’il fit décider l’ouverture des conférences de Saint-Germain. Il s’y effaça complètement, demeurant dans la coulisse, acceptant l’humiliation d’une exclusion apparente, laissant les princes aux prises avec les délégués du parlement, qui, exhumant l’arrêt rendu en 1617 contre le maréchal d’Ancre, refusaient de traiter avec un ministre étranger. Ces députés furent reçus à Saint-Germain par le grand-maître de France, qui n’était autre que M. le Prince, et qui leur fit les honneurs de la table royale. Tous furent charmés de son urbanité, de ses dispositions conciliantes. Mais à peine la discussion ouverte, le voilà qui s’emporte, menace, interrompt, « parle rude, » persifle surtout. Mazarin y comptait ; il savait que le tempérament de Condé prévaudrait sur ses intentions.

A chaque séance, même scène. Tous les princes prenaient la parole. Le duc d’Orléans opinait le premier : émule de son bouillant cousin, lui aussi mêlait les menaces aux avis modérés ; plus maître de sa parole, n’inspirant confiance à personne, soufflé par l’abbé de La Rivière, il réussit mieux à se tenir en équilibre. Tout frais émoulu de ses luttes en Sorbonne, Conti songe à faire briller son talent oratoire ; quelles que soient alors ses visées particulières, il est obligé de se ranger derrière ce frère qu’il redoute et qu’il n’aime pas. A son