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la démocratie fut abattue. A Rhodes, comme ils disposaient des finances, ils firent retirer l’indemnité due aux navarques (les riches), et ils leur infligèrent, par des poursuites judiciaires, des amendes qui les poussèrent au désespoir et à une révolution. A Héraclée encore, les démagogues entraînèrent la ruine du gouvernement démocratique. A Mégare, ils confisquèrent les biens d’un grand nombre de riches qui, chassés de la ville, y rentrèrent de vive force et établirent l’oligarchie ; même chose à Cumes, à Thèbes, après la bataille des OEnophytes. Parcourez l’histoire de la chute des démocraties, vous trouverez presque partout les démagogues décrétant des lois agraires, tourmentant les riches pour faire des largesses au peuple avec le bien de la classe aisée, qu’ils poursuivent d’accusations et forcent à conspirer. » — « Le régime démocratique, dit-il ailleurs, est de tous les gouvernemens le plus stable, à la condition que la classe moyenne ait la prépondérance. » Ces avertissemens n’ont prévenu aucune révolution; mais il est bon de les trouver dans la bouche du plus profond penseur et de l’esprit le plus politique de l’antiquité.

A la différence de son maître, qui n’a que dédain pour la vie publique, Aristote veut que tous y prennent part : l’unique occupation des citoyens doit être, selon lui, le soin de l’état, et cette doctrine est plus patriotique que celle qui en éloigne, puisque l’indifférence politique fut pour ces petites cités une cause de mort.

Lorsque le froid et sévère logicien par le de la justice, qu’il met au-dessus de toutes les vertus comme étant la vraie fin de la politique, il s’élève jusqu’à la poésie : « Ni l’étoile du matin, dit-il, ni l’étoile du soir ne sont plus dignes d’admiration. » Et cet esprit de justice qui met l’ordre dans la cité, il le confond avec l’amitié, donnant ainsi pour fondement à la république l’affection réciproque de tous ses enfans. C’est qu’en lui l’homme valait le philosophe. Son testament, que Diogène Laërte nous a conservé, est un minutieux règlement de ses affaires domestiques, qui n’étonne point de sa part; mais il témoigne aussi d’une vivacité de sentiment qu’on ne s’attendait pas à trouver dans ce génie austère.

Il est un titre particulier qu’Aristote possède à notre reconnaissance. Sa longue domination en France, se combinant avec la netteté logique du droit romain recueilli dans nos universités, a donné à l’esprit français ces habitudes de précision et de clarté qui ont assuré l’influence de notre littérature dans l’Europe moderne.

La pensée humaine suit encore, après vingt-deux siècles, les deux voies ouvertes par Platon et par le Stagirite : religieuse, morale et poétique avec l’un ; savante, rigoureuse et sévère avec