Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/723

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

serait sans nul doute le meilleur moyen de précipiter le dénoûment. Ils ne réussiront pas encore, il faut le croire ; mais avec leur politique, avec leurs discours plus que légers, ils contribuent sûrement, pour leur part, à entretenir cette situation troublée où règne l’émulation des arméniens, où l’on prévoit d’un ton si leste la guerre, parce qu’on la prépare ou qu’on la désire.

Il y a du moins, à cette heure troublée où nous sommes, un pays et une ville qui ont l’heureux privilège de ne pas songer à la guerre, qui ne s’occupent que d’une fête de la paix. Ce pays, c’est l’Espagne, cette ville, c’est Barcelone, la vieille capitale de la Catalogne, qui fait parler d’elle dans le monde, qui attire aujourd’hui Espagnols et étrangers par une exposition universelle habilement préparée. La politique n’est plus pour le moment à Madrid ; elle est sur ces côtes riantes de la Méditerranée, dans cette ville industrieuse où l’exposition vient d’être inaugurée avec toute sorte de pompes officielles et populaires, avec un éclat rehaussé par la présence de la cour, des ministres, du corps diplomatique, et par l’apparition des escadres des plus grandes puissances maritimes.

Décidément d’abord, les nouvellistes et les correspondans des journaux européens ne savaient ce qu’ils disaient lorsqu’ils signalaient, il n’y a que quelques jours, comme un événement des plus graves, tout plein de menaces énigmatiques, cette apparition des navires étrangers sur les côtes de la Catalogne. A les entendre, la flotte française ne pouvait être mise en mouvement que pour accomplir quelque noir dessein, et les vaisseaux envoyés par les autres puissances pour la surveiller, devaient aussi nécessairement avoir leur mission mystérieuse dont on aurait bientôt le secret. Il s’agissait, pour le moins, de prouver que la Méditerranée n’était pas un lac français ! Toutes ces fables s’en sont allées en fumée. Les escadres ont paru devant Barcelone le plus simplement du monde, n’ayant, comme il était facile de le prévoir, d’autre mission que de faire honneur à la reine d’Espagne, Marie-Christine, venue en Catalogne pour inaugurer l’exposition. Le duc d’Edimbourg était sur son navire, représentant la reine d’Angleterre. Le duc de Gênes est arrivé avec les cuirassés italiens, portant les complimens du roi Humbert. La France était dignement représentée par l’amiral Amet, un des héroïques marins du siège, et par le brillant général Berge, commandant du corps français de la frontière pyrénéenne. Princes et chefs militaires de toutes nations, à ce qu’il semble, ont rivalisé de courtoisie, et se sont fêtés mutuellement, en fêtant la souveraine espagnole. La reine, pour sa part, a répondu de son mieux à la manifestation des puissances en visitant les flottes, en recevant avec une parfaite bonne grâce tous ces chefs étrangers, particulièrement les représentans de la France. Il n’y a pas d’autre