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depuis quelque temps les incidens d’un mauvais caractère, d’une signification énigmatique, peut-être plus gros qu’ils n’en ont l’air. Des incidens, il y en a partout où les nations, les empires se touchent de près. Il y en avait assez récemment à la frontière de la Galicie, où, coup sur coup, deux officiers-généraux russes ont été arrêtés comme suspects d’espionnage sur le territoire autrichien, dans le voisinage du camp retranché de Przemysl. Ils passent maintenant sur les Vosges, où cette terrible question des frontières redevient subitement assez aiguë, assez délicate entre l’Allemagne et la France, par suite de tout un rigoureux système de précautions qui vient d’être adopté tout à coup à Berlin, qui entre en vigueur aujourd’hui même.

C’est une épreuve qui commence, qui n’est sûrement pas sans danger. Lorsqu’il y eut, l’an dernier, coup sur coup, deux de ces incidens qui purent paraître un moment menaçans, et qui furent bientôt heureusement terminés, il était resté de ces faits ce qu’on pourrait appeler une moralité admise d’un commun accord : c’est qu’il y aurait quelque prudence à se mettre en garde contre l’imprévu, à s’entendre sur la police des frontières, sur les rapports des populations limitrophes.

Que s’est-il passé depuis ? Y a-t-il eu des négociations qui n’ont conduit à rien, comme bien d’autres négociations ? A défaut d’un règlement adopté d’intelligence, y a-t-il eu quelque fait grave de nature à éveiller les susceptibilités allemandes, quelque aventure criante, quelque manifestation française qui ait pu ressembler à une provocation ? On ne peut pas voir évidemment un fait des plus graves pas plus qu’une provocation préméditée dans le plus simple des incidens, dans l’arrestation plus ou moins justifiée d’un petit industriel allemand, qui, en se rendant à Reims, aurait été un instant retenu sur le territoire français. Toujours est-il que le gouvernement de Berlin a saisi ce prétexte pour promulguer, avec une certaine solennité comminatoire, toute une législation prohibitive où ne manquent ni les précautions, ni les vexations, ni les formalités qui équivalent à une interdiction. La police allemande sur les Vosges était déjà assez méticuleuse et assez sévère ; elle l’est bien plus encore aujourd’hui. Tout est prévu. On ne peut traverser l’Alsace-Lorraine qu’avec un passeport en règle de l’ambassade. On ne peut séjourner dans les provinces annexées qu’avec une autorisation à délai limité, qui ne sera accordée que pour une cause sérieuse et précise, qu’il faudra faire viser par toutes les autorités possibles. Les habitans de la frontière ne pourront aller à une foire ou à un marché sur le territoire voisin qu’en faisant constater leur identité. Tout est combiné pour rendre le passage de la frontière, les rapports de voisinage difficiles ; et notez bien que, si les Français sont gênés dans leurs relations, les étrangers qui traversent l’Alsace-Lorraine sont soumis aux mêmes formalités, ce qui peut modifier toutes les conditions de transit commercial et industriel.