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Eh bien ! que font les républicains dans ces conditions difficiles, dont ils ont, après tout, la première responsabilité, puisqu’ils règnent depuis dix ans ? Il est malheureusement certain que l’expérience ne les a ni éclairés ni corrigés, qu’ils n’ont rien appris ni rien oublié, qu’ils ne se rendent même pas entièrement compte de l’aventure où ils sont engagés. Après avoir créé la crise, ils ne savent plus comment en sortir, et ils en sont encore, pour toute nouveauté, à poursuivre leur rêve de concentration républicaine, que chacun, bien entendu, veut réaliser à sa façon. Le gouvernement fait des voyages et des discours ; M. le président du conseil va pérorer contre la dictature et pour l’alliance républicaine à Laon. M. le ministre de l’instruction publique va à Clermont-Ferrand conquérir par ses séductions les habitans de l’Auvergne. M. le ministre des travaux publics court la Saintonge, tandis que M. le ministre de l’agriculture va de la Gascogne en Savoie. Ils vont tous porter la bonne parole radicale en province, — et, chemin faisant, M. le président du conseil prend sa meilleure plume pour enseigner aux édiles parisiens le moyen de voter des subsides aux grévistes en éludant la loi. Moyennant cela, M. Floquet garde les bonnes grâces du conseil municipal de Paris et fait sa concentration républicaine ! Mais M. Clemenceau fait aussi la sienne à sa manière. Il l’a fait en tendant une main à M. Ranc, l’autre main à M. Joffrin, en fondant avec eux une nouvelle Société des droits de l’homme, une sorte de club des Jacobins, destiné à réaliser la vraie concentration, — celle où les radicaux règnent et gouvernent ! Les républicains modérés, qui auraient pourtant quelque chose à dire, semblent pour le moment se résigner à un rôle assez effacé. Ils ont pu apprécier récemment, par la manière dont un de leurs candidats a été traité dans les élections de l’Isère, la position et le rôle que les radicaux leur promettent dans leur concentration. Ils le savent bien ; ils se réservent, ils attendent, ils craignent sans doute de se séparer trop complètement ou trop vite du ministère. De sorte que, parmi les républicains, les uns s’abstiennent de toute action sérieuse, gémissant des excès des radicaux, des condescendances du ministère, mais évitant de prendre une attitude trop tranchée d’opposition ; les autres vont toujours en avant, ils ne s’en cachent pas ; ils vont même jusqu’à la commune, sans craindre de pousser jusqu’au bout la politique qui a justement créé ces malaises dont souffre le pays, — qui a préparé une partie de l’opinion à tout accepter pour sortir du gâchis. Si c’est ainsi qu’ils entendent combattre la dictature, ils se font vraiment quelque illusion. M. le général Boulanger ne peut qu’être fort obligé aux radicaux et même à M. Floquet de servir si bien son ambition. Il ne ferait peut-être pas très bien ses affaires par lui-même ou il les aurait bientôt compromises ; mais il a la chance d’avoir des adversaires qui, sans le vouloir, conspirent merveilleusement pour lui.